Deux visions du tourisme s’affrontent ces derniers mois à Douarnenez, petite ville portuaire du Finistère. Une partie de la population s’oppose à l’accueil des paquebots de croisière pour des raisons sociales et environnementales, tandis que d’autres y voient un atout commercial pour la ville.
C’est par des casseroles et des huées que 247 croisiéristes étrangers ont été accueillis mercredi dernier dans le petit port de Douarnenez, une commune d’environ 14.000 habitants du Finistère. Une banderole « Croisières, ni ici ni ailleurs » a été déployée sur le port par la cinquantaine de protestataires, tenus à distance par les forces de l’ordre.
« Cassez-vous! », « Vous n’êtes pas les bienvenus ici! », ont même scandé certains d’entre eux à l’adresse des touristes britanniques et américains.
Une patrouille maritime et quelque 40 gendarmes étaient déployés mercredi matin, dès 7 heures, sur le port du Rosmeur pour encadrer les manifestants présents sur place. Les forces de l’ordre veillaient à faire en sorte qu’ils ne perturbent pas le débarquement des croisiéristes, comme cela avait été le cas le 6 mai dernier. Ce jour-là, une partie des passagers n’avaient pas pu poser le pied en Bretagne car une casserolade les en avait empêché par mesure de sécurité.
La mise en tourisme d’un territoire?
Depuis début mai, la petite commune bretonne se déchire sur la question de l’accueil des bateaux de croisières, qui accostent sept à huit fois par an dans la baie depuis le Covid. Dans les rues comme au sein des foyers, le débat suscite les passions. D’un côté, les militants anti-mastodontes des mers dénoncent « un tourisme ultra-pollueur réservé aux riches », et déplorent « l’absence de concertation de la mairie » à ce sujet.
« On ne veut pas d’une ville balnéaire qui serait active seulement pendant la saison touristique et qui s’éteindrait le reste de l’année », tonne Marie*, membre du collectif Sémaphore Douarnenez interrogée par BFMTV.com.
Créé en septembre 2022, il regroupe une petite dizaine d’habitants de la commune sensibles aux enjeux environnementaux et sociaux. « Les bateaux de croisière sont une aberration dans un monde où le réchauffement climatique nous menace. Les loisirs des uns ne doivent plus ruiner l’existence de tous », peut-on lire dans un communiqué faisant part du soutien de La France Insoumise.
La mairie pointe « des extrémistes » et des « anti-tout »
« On sait pertinement que les croisières sont une nuisance grave pour la biodiversité. Or la mairie n’a demandé son avis à personne avant d’autoriser un tel projet. Nous ne sommes tenus au courant de rien et à tout moment, ils peuvent décider d’augmenter le rythme d’escales. »
La maire divers droite Jocelyne Poitevin, contactée par BFMTV.com, n’a à ce jour pas donné suite à nos sollicitations. Fin mai, elle avait toutefois fait part de sa colère à nos confrères du Télégramme, pointant du doigt des collectifs « anti-tout qui se radicalisent ». Elle regrette que « des extrémistes s’arrogent des droits qu’ils n’ont pas » et qu’ils « entravent la liberté de gens qui ne demandent qu’à découvrir notre pays, notre ville et notre culture ».
Dans cet entretien, l’élue rappelle aussi que ces paquebots sont de petite taille et qu’ils n’accueillent qu’environ 250 passagers, pour sept escales par an à Douarnenez. Selon elle, « ça n’a rien à voir avec les bateaux usines comme on peut le voir à Marseille ou à Venise ».
« Ça nous envoie du monde »
Toutefois, « l’ambiance est extrêmement tendue dans la ville » depuis ces actions militantes, reconnaît Marie du collectif environnemental. Le sujet est sur toutes les lèvres. Car en face, une grande partie des commerçants se réjouit de ces escales, qui leur amènent à chaque fois une vague de nouveaux clients. Le président de l’association des commerçants estime que l’arrivée de ces touristes génère à chaque fois 400 à 500 euros de chiffre d’affaires en à peine une heure.
« Ça fait bouger la ville, ça nous envoie du monde, je ne vois pas du tout le problème! », s’enthousiasme Laure Dargain, une boulangère de la commune, qui indique avoir été victime d’une vague de harcèlement en ligne après avoir osé prendre position sur les réseaux sociaux.
La tension est telle que Yohann*, gérant de boutique âgé de 55 ans, a lui aussi eu « quelques discussions franches et musclées » à ce sujet devant son magasin avec des membres du collectif environnemental. « Je suis suffisamment ouvert d’esprit pour comprendre qu’on soit contre ce genre de tourisme », explique-t-il.
« En revanche, un port c’est sacré. Je ne cautionne pas du tout qu’on interdise à des gens de débarquer. On a jamais vu ça! », avance Yohann. « Même pendant la guerre de 39-45, des anciens m’ont dit que ça ne s’était pas vu à Douarnenez ».
De minces retombées économiques
« Ça va finir par nous diviser à long-terme », s’inquiète Maryse*, gérante d’une petite boutique d’art dans la commune, qui « ne sait plus trop quoi penser ». Difficile de se positionner pour cette sexagénaire. « Tout le monde a un avis tellement tranché sur la question… Mais bon Douarnenez a toujours été une ville accueillante, et je ne trouve pas ces bateaux si laids à regarder personnellement ».
« Ce que je peux dire, c’est que l’arrivée de la première croisière m’a permis de faire ma meilleure vente depuis l’ouverture. Une Américaine m’a acheté une grosse pièce, j’étais ravie ».
Un argument que balaient à la fois le collectif Sémaphore Douarnenez et l’opposition municipale Terre Citoyenne. « Ça nourrit une certaine image de ville balnéaire, mais c’est complètement désuet », défend Marie. D’autant que le commerce local ne bénéficie pas tant que ça des retombées économiques de ces croisières, assure un élu écologiste d’opposition, qui soutient le collectif.
Selon lui, une fois arrivés sur place, les passagers filent souvent en car vers d’autres destinations. « Et ce ne sont pas 10 personnes au port qui changent la donne », congédie l’élu local, pour qui de toute façon, « il n’y aura bientôt plus de touristes du tout au vu de l’impact sur le milieu marin de ces immeubles marins flottants ».
Lundi, l’opposition municipale a adressé une lettre ouverte à la mairie afin de réclamer des mesures pour « recentrer le débat sur l’écologie » et « faire descendre la tension ».
*Au vu du contexte tendu qui règne dans la commune, ces commerçants ont souhaité témoigner anonymement.
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