L’utilisation de l’arme nucléaire obéit à certaines règles en Russie, mais leur exécution reste toutefois en grande partie opaque et dans les mains du président russe.
Face à la résistance ukrainienne, le président russe Vladimir Poutine a agité à plusieurs reprises la possibilité d’utiliser des armes nucléaires dans la guerre en cours. Le président américain Joe Biden a mis en garde jeudi contre un risque d' »apocalypse », pour la première fois depuis la guerre froide.
Il reste toutefois difficile à l’heure actuelle de savoir à quel point cette menace nucléaire pourrait devenir réalité.
· De quelles armes nucléaires dispose la Russie?
La puissance nucléaire russe est importante mais l’évaluer avec précision est compliqué car peu d’informations filtrent à ce sujet. D’après des données du Bulletin of Atomic Scientists, datées de février 2022, la Russie dispose de 5977 ogives nucléaires, mais toutes ne sont pas déployées et opérationnelles.
Ce chiffre englobe également à la fois les armes nucléaires tactiques, et les armes nucléaires stratégiques. « Des armes nucléaires tactiques, c’est 500 kilomètres de portée. Les armes nucléaires stratégiques » peuvent faire Moscou-Washington, explique Ulysse Gosset, éditorialiste politique étrangère pour notre antenne.
« Il y a effectivement ce qu’on appelle les armes tactiques qui sont définies comme étant plus faibles que les armes stratégiques mais cela reste des armes nucléaires très puissantes », rappelle sur BFMTV Lova Rinel, chercheuse associée à la Fondation pour la Recherche stratégique.
« On parle d’un arsenal sérieux, qui tue, on est équivalent à peu près à celui d’Hiroshima donc on est vraiment sur quelque chose de dangereux qui met en péril des populations », souligne la chercheuse.
· Dans quels cas Poutine peut-il utiliser l’arme nucléaire?
La doctrine russe prévoit que Vladimir Poutine peut utiliser l’arme nucléaire si la Russie est attaquée et si cette attaque met en danger l’existence du pays. Si c’est l’Ukraine qui est attaquée pour le moment, le président russe a rappelé à plusieurs reprises que les régions annexées en Ukraine étaient désormais russes pour lui, et que toute attaque sur ces sols serait considérée comme une attaque contre la Russie.
La subtilité de ce cadre c’est que c’est Vladimir Poutine qui définit ce qui correspond à « une mise en danger de l’existence du pays ». La notion est large et un peu floue, ce qui fait que les cas pouvant y entrer sont potentiellement nombreux.
Piotr Tolstoï, vice-Président de la Douma, a toutefois assuré sur BFMTV cette semaine être « sûr et certain qu’on ne va pas utiliser les armes nucléaires. On a une doctrine, donc la loi est très claire là-dessus et on peut l’utiliser seulement s’il y a une menace existentielle sur l’ensemble du territoire russe ».
· Qui décide d’utiliser la force nucléaire?
Selon la loi russe, c’est bien Vladimir Poutine qui décide tout seul. Mais la Russie a aussi hérité du système soviétique de décision collective, où l’accord du ministre de la Défense et du chef d’État-Major des armées était nécessaire. Est-ce encore le cas aujourd’hui? La réponse est floue, on ne sait pas exactement si ces deux responsables militaires ont un réel pouvoir de blocage sur la question nucléaire, explique Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique.
Il souligne toutefois que si ces deux responsables militaires étaient vraiment un frein pour le président russe, il n’aurait qu’à les remplacer pour des personnes qui approuveraient ses plans.
Michel Yakovleff, ancien vice-chef d’État-major du Grand Quartier général des puissances alliées en Europe (OTAN), souligne sur BFMTV que les militaires chargés d’exécuter le lancement nucléaire pourraient de leur côté s’opposer à une telle décision, il s’agit de « centaines des gens, des centaines des gens dont certains, sont critiques au système ».
Selon lui, ce qui retient Poutine « c’est la crainte de la désobéissance, c’est ce que j’appelle le test ultime de loyauté. Il craint qu’en donnant cet ordre tellement extrême où tout le monde sera tétanisé – en se disant ‘non mais là on change de monde et moi aussi j’ai une famille et je voudrais qu’on évite la troisième extinction’ – quelques gars disent ‘ah non là, j’arrête' », déclare Michel Yakovleff.
· Poutine va-t-il appuyer sur le bouton?
Hormis les menaces dans les paroles du président russe, il n’y a aujourd’hui aucun signe de préparatif, aucun signe d’une attaque imminente. « Nous n’avons pas de raison d’ajuster notre propre posture nucléaire stratégique, pas plus que nous n’avons d’indications que la Russie se prépare à utiliser de manière imminente des armes nucléaires », a dit vendredi la porte-parole de la Maison Blanche Karine Jean-Pierre, après les propos alarmants de Joe Biden.
« Un certain nombre de responsables américains n’ont remarqué aucun signe d’une quelconque préparation à l’utilisation d’armes nucléaires, et ce malgré les tentatives d’intimidation quelque peu irresponsables faites par Poutine récemment », a également déclaré David Petraeus, ancien Patron de la CIA.
Les experts affirment aussi que si la Russie préparait une attaque nucléaire, cela se verrait et se saurait. Les sites de stockages nucléaires répartis à travers le pays sont surveillés constamment par les satellites, des services de renseignement et de surveillance militaire étrangers. S’il y avait une menace d’attaque imminente, les armes devraient sortir du stockage, les forces terrestres russes devraient se préparer, il faudrait leur fournir des équipements de protection et cela ne passerait pas inaperçu.
· Essaye-t-il seulement de faire peur?
Pour l’historienne Anne de Tinguy, chercheuse au Sciences Po-CERI, Vladimir Poutine n’aurait aucun intérêt à mettre sa menace nucléaire à exécution, mais « en effet il fait peur, regardez en France, autour de nous dans les pays occidentaux, la première question qu’on a aujourd’hui c’est: ‘est-ce qu’il va utiliser l’arme nucléaire?' ».
« Il est évident qu’il faut prendre très au sérieux des menaces qui touchent au nucléaire, ça c’est clair et je crois que tout le monde les prend au sérieux », continue l’historienne, « mais en même temps il faut raison garder dans la mesure où les Russes n’ont en réalité aucun intérêt à utiliser une arme nucléaire même de façon tactique. Monsieur Poutine et ceux qui l’entourent savent très bien les représailles auxquelles ils seront confrontés s’ils l’utilisent. »
Vera Ageeva, politologue spécialiste de la Russie, est, elle, moins confiante devant cette situation car « même si pour nous ce n’est pas logique de faire des menaces nucléaires et une frappe nucléaire, pour lui c’est logique ». Plus le président russe perd du terrain en Ukraine, plus il s’affaiblit, et plus il devient dangereux.
Vladimir Poutine « pense que s’il le fait, il montre que c’est lui qui gère la situation, qu’il est capable de définir les règles donc à mon avis il ne faut pas l’exclure, la pression sur lui aussi est assez grande, donc c’est un danger réel ».
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