TOUT COMPRENDRE - Pesticides: l'eau du robinet contient-elle trop de résidus?

Deux enquêtes du Monde et du magazine « Complément d’enquête » font état du dépassement des seuils de qualité de l’eau dans de nombreuses communes. Des études manquent pour évaluer les seuils de dangerosité de certaines molécules.

L’eau du robinet trop souvent contaminée? Une enquête du Monde et une autre du magazine de France 2 « Complément d’enquête » évoquent un dépassement des standards de qualité dans de nombreuses communes, avec la présence de nombreux résidus de pesticides. Les deux médias dénoncent également des dysfonctionnements dans la surveillance de la qualité du réseau d’eau potable.

Selon l’enquête du quotidien du soir, dont les conclusions sont proches de celle de France Télévisions, cette contamination serait particulièrement étendue: quelque 12 millions de Français et Françaises de métropole auraient ainsi été exposés en 2021 à une eau du robinet considérée comme non conforme aux critères de qualité, soit 20% des Français.

• Quels sont les résidus retrouvés?

Ce résultat représente une nette augmentation par rapport à 2020. Cette année-là, l’exposition à une eau du robinet non conforme a concerné moins de 6% de la population française. Cette hausse s’explique notamment par la recherche d’un nombre plus importants de substances, dont certains métabolites qui n’étaient jusqu’alors par surveillés, précise Le Monde.

Les métabolites sont des molécules issues de la dégradation des pesticides. En clair: lorsqu’ils se diffusent dans l’environnement, les pesticides se fragmentent et se recombinent. Chaque produit phytosanitaire peut ainsi engendrer plusieurs nouvelles molécules. Quelques exemples: le glyphosate se dégrade en Ampa et le chloridazone en chloridazone desphényl.

Parmi ces descendants de pesticides les plus fréquents: l’ESA-métolachlore, un métabolite du S-métolachlore, un herbicide employé dans la culture du maïs, du tournesol ou du sorgho. Quelque 6550 dépassements du seuil de qualité ont ainsi été recensés sur cette substance entre janvier 2021 et juillet 2022, dénombre France Info.

Des métabolites de pesticides pourtant interdits ont également été retrouvés, pointent les deux enquêtes. Comme l’atrazine, un herbicide interdit depuis une vingtaine d’années.

• Quelles sont les régions les plus concernées?

Certaines régions semblent plus particulièrement touchées, remarque Le Monde. Comme les Hauts-de-France, où 65% de la population a été concernée – régulièrement ou épisodiquement – par des non-conformités de l’eau potable en 2021, la Bretagne (43%), le Grand-Est (25,5%) et les Pays de la Loire (25%).

Mais au sein d’une même région, la situation peut fortement varier d’un département à l’autre. C’est le cas de l’Occitanie qui connaît un taux de non-conformité relativement faible (5,1%) mais dont l’un de ses départements, le Gers, est pourtant l’un des plus concernés (71%).

Il faut cependant noter que le nombre de molécules recherchées varie fortement selon les régions, la liste étant définie localement en fonction de plusieurs critères, comme les produits phytosanitaires les plus utilisés dans la région ou la densité de population, relève France Télévisions. Mais cela aboutit à de fortes disparités dans les analyses: de 24 molécules de pesticides recherchées en moyenne par prélèvement en Haute-Corse, contre 477 dans les Hauts-de-Seine.

• Quels sont les risques pour la santé?

Ces résidus sont-ils dangereux pour la santé? Difficile de savoir. La limite de qualité de l’eau est généralement fixée à 0,1 microgramme par litre pour ces résidus. Mais ce seuil « n’est pas une norme sanitaire », insiste Benoit Vallet, directeur général de l’Agence régionale de santé des Hauts-de-France, auprès du Monde. « La seule norme sanitaire est la ‘Vmax’, qui indique une concentration dans l’eau susceptible de déclencher des problèmes sur la santé. »

Sauf que peu d’études – quand elles ne sont pas parcellaires – ont été réalisées sur certains métabolites, insiste le quotidien. Or, elles sont nécessaires pour établir cette fameuse « Vmax »: d’après les données de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), citée par France télévisions, il existe 23 pesticides ou métabolites pour lesquels les autorités n’ont pas défini de valeur sanitaire maximale

« En l’absence de VTR (valeurs toxicologiques de référence, NDLR) il peut arriver que l’Anses ne soit pas en mesure de fournir de Vmax », reconnaît l’Anses sur son site.

Le Monde cite par exemple le cas de deux métabolites du chloridazone, un herbicide utilisé jusqu’en 2020 sur les champs de betterave, pour lesquels de nombreuses non-confirmités ont été constatées mais aucune Vmax calculée. Des valeurs provisoires ont depuis été établies.

Nombre de ces molécules et leurs effets à long terme demeurent donc inconnus. Et « les effets à long terme sur la santé d’une exposition à de faibles doses de pesticides sont difficiles à évaluer », admet le ministère de la Santé.

• Comment réagissent les autorités?

Michel Laforcade, ex-directeur général de l’ARS Nouvelle-Aquitaine aujourd’hui à la retraite, estime ainsi pour Le Monde que les autorités sanitaires ont « failli » sur ce sujet. « Un jour, on devra rendre des comptes », dénonce-t-il. « Ce ne sera peut-être pas de la même envergure que l’affaire du sang contaminé, mais cela pourrait devenir le prochain scandale de santé publique. »

Dans le cas des résidus pour lesquels il n’existe pas de valeur sanitaire maximale, la Direction générale de la santé (DGS) recommandait en décembre 2020 de « restreindre les usages de l’eau » dès le dépassement du seuil de qualité, à 0,1 microgramme par litre, note « Complètement d’enquête » – mais ce principe de précaution est loin d’être appliqué dans toutes les communes concernées, insiste France Télévisions.

En décembre 2021, la DGS a saisi le Haut conseil de la santé publique (HCSP) « pour un appui relatif à la gestion des risques sanitaires liés à la présence de pesticides et de métabolites de pesticides dans les eaux destinées à la consommation humaine ».

Le HCSP a estimé en retour qu’une « politique active et urgente doit être mise en œuvre pour réduire la contamination des ressources par les pesticides ».

Le Monde indique que la DGS a réfusé ses demandes d’entretien. Son patron, Jérôme Salomon, doit néanmoins s’exprimer ce jeudi soir dans l’émission « Complément d’enquête ».

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