Le président du comité d'organisation des Jeux de Paris 2024, Tony Estanguet, le 12 décembre 2019. (THOMAS SAMSON / AFP)

Dévoilées mardi 12 juillet dans le huis clos du conseil d’administration, ce sont plus de 50 pages, siglées « diffusion restreinte », qui laissent transparaître de nombreuses inquiétudes sur le budget olympique. Cette synthèse, commandée par Tony Estanguet en début d’année, décortique l’état des finances du Comité d’organisation des Jeux olympiques (Cojo) de Paris 2024.

Ce rapport n’est qu’une étape. Dirigé par Jacques Lambert, le président du comité d’audit en place depuis 2018, il doit servir de guide pour la prochaine révision du budget des JO, à la fin de l’année. Jusqu’ici, cette analyse au ton mesuré, souvent technique, n’avait pas été publiée. Seuls certains passages avaient été transmis publiquement et à la presse. « Maitrise de ses dépenses », « solide travail » sur la billetterie, « stratégie bien pensée » : le rapport semblait être un satisfecit pour le Cojo.

 Le président du comité d'organisation des Jeux de Paris 2024, Tony Estanguet, le 12 décembre 2019. (THOMAS SAMSON / AFP)

Pourtant, lu dans son intégralité, le rapport d’étape constitue aussi une mise en garde. Il pointe des risques financiers, avec à la clé, un potentiel surcoût pour les Jeux olympiques parisiens. Les rapporteurs prévoient d’ores et déjà des « décisions fortes, difficiles, et courageuses » à l’automne prochain, pour juguler les coûts.

Dès les premières lignes, à la rubrique « Dépenses », le comité d’audit fait un constat implacable : « Les besoins en financement (…) sont nettement supérieurs aux possibilités qu’offrent ensemble les revenus et la réserve pour aléas ». En clair, les revenus sont, en l’état, insuffisants pour subvenir aux dépenses. Les experts ne parlent pas de dérapage, mais de « tension sur l’équilibre budgétaire », qui était « anticipée ».

Comment l’expliquer ? Il y a bien sûr l’inflation galopante dans le monde entier, et les pénuries, liées à la guerre en Ukraine ou à la pandémie de Covid-19. Mais ce ne sont pas les seules causes, selon ce document.

Le « rapport Lambert » pointe aussi « les ambitions dévolues à certains projets » de Paris 2024. Selon lui, il est nécessaire de « revoir » de manière « approfondie [ces] ambitions », en faisant le tri entre les projets « centraux pour la livraison de l’événement [et] ceux qui ne le sont pas ». Objectif assumé : ne pas voir les comptes des Jeux exploser, à deux ans de l’événement.

Les auditeurs font même une préconisation radicale : il faut envisager un « renoncement » à certaines « opérations programmées ». Paris 2024 va-t-il devoir réduire la voilure sur des épreuves ou la cérémonie d’ouverture ? Relocaliser à nouveau certains sports ? Tout en prudence, ce document ne le précise jamais ; des éléments ont d’ailleurs été expurgés pour ne pas « nuire » ou « contrarier des négociations en cours ».

Une illustration de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Paris 2024 fournie par le comité d'organisation. (FLORIAN HULLEU / PARIS 2024 / AFP)

Sollicité, le Cojo dit travailler sur des « idées » de réduction des coûts, sans vouloir les détailler à ce stade. « Si on doit faire des économies significatives, toutes les pistes sont ouvertes », assure-t-on, tout en « essayant de ne pas toucher à ce qui fait l’intégrité du projet« . Entre les lignes, les organisateurs tentent de réduire la facture des coulisses des JO, comme par exemple celles des prestations offertes aux délégations olympiques et membres du Comité international olympique (CIO).

L’emballement budgétaire n’inquiète pas que les rapporteurs. La cérémonie d’ouverture à ciel ouvert sur la Seine fait aussi tiquer des membres du conseil d’administration. « Nous avons déjà plus de 31 millions d’euros de budget supplémentaire sur les quatre cérémonies d’ouverture et de clôture des Jeux olympiques et paralympiques. Il faudra faire attention à ne pas aller trop loin », alerte Patrick Karam, vice-président (Les Républicains) de la région Ile-de-France.

Si le comité d’audit juge nécessaire ces réductions, c’est aussi parce que toutes les recettes promises ne sont pas encore au rendez-vous. Il manque entre autres des sponsors, et de premier rang. Dans le jargon, on les appelle les « partenaires premium », des entreprises françaises prêtes à débourser plusieurs dizaines de millions d’euros. Paris 2024 en a déjà convaincu cinq de financer les Jeux : le Groupe BPCE, Carrefour, EDF, Orange, et Sanofi. Leur contribution est cruciale, car, à eux seuls, ils verseront la somme de 405 millions d’euros pour l’événement.

Les anneaux olympiques devant la Tour Eiffel, en septembre 2017. (RICCARDO MILANI / HANS LUCAS / AFP)

Or, il en manque toujours un sixième pour atteindre les objectifs annoncés, ce qui alarme les rapporteurs : « La signature d’un contrat supplémentaire (…) est une impérieuse nécessité ». Cette signature serait en bonne voie, assure le Cojo, qui assure « faire le maximum ».

Certaines prévisions du budget seraient aussi trop optimistes. Les experts ont notamment étudié les revenus des produits officiels sous licence (vêtements, produits dérivés, mascotte…). Le Cojo estime qu’ils vont rapporter en tout 127 millions d’euros, un chiffre jugé « ambitieux » par les rapporteurs, qui demandent de « recaler cet objectif ».

Le comité d’audit, enfin, étrille les négociations autour des futurs sites des Jeux olympiques. En effet, pour certaines épreuves, les organisateurs veulent confier la gestion des événements olympiques à des prestataires extérieurs. En tout, 21 lieux sont concernés, dont le Golf national ou le stade Yves-du-Manoir, qui accueillera le hockey sur gazon.

Des tractations sont en cours depuis des mois. Sur le papier, cette méthode est saluée et jugée comme « vertueuse et pragmatique ». Elle permet de compter sur des entreprises ou fédérations expérimentées, rodées aux grands événements sportifs.

Mais, selon le rapport, ces prestataires s’agacent de « négociations qui s’éternisent et d’un dialogue qualifié d’interminable ». Cahier des charges trop strict, budget promis trop faible, manque « d’efficacité opérationnelle », « complexité croissante »… Les griefs, nombreux, créent « une forme de lassitude » chez les négociateurs. Surtout, si ces tractations n’aboutissent pas, elles seront « génératrices de coûts supplémentaires » pour Paris 2024.

« Ce n’est pas du tout faux, c’est même assez vrai », reconnaît-on au Cojo. « C’est long, ça prend du temps, et certains opérateurs préféreraient aussi qu’on aille plus vite, et qu’on mette sur la table plus d’argent. Ça fait partie du jeu. »

Le Cojo a d’ailleurs dû reprendre à son compte l’organisation des épreuves de natation à l’Arena La Défense de Nanterre, et celles du basket et du handball à Lille. D’autres pourraient suivre : « Si on se rend compte que, pour une raison opérationnelle, c’est mieux de le faire nous-mêmes, on n’hésitera pas une seule seconde. C’est vraiment le bon sens qui nous guide« , promettent les organisateurs.

Les idées de réduction des coûts n’ont pas encore été soumises au conseil d’administration de Paris 2024. Il reste encore jusqu’à la fin de l’année pour faire des propositions, afin que les Jeux parisiens restent dans les clous budgétaires.

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