Plusieurs joueurs de Manchester City sur le tarmac de l'aéroport de la ville anglaise, devant l'avion de ligne floqué aux couleurs du club, le 7 juillet 2017. (SHARON LATHAM / MANCHESTER CITY FC / GETTY IMAGES)

« On allait à mille à l’heure. On était les plus rapides du monde. » Dans le documentaire qu’Amazon Prime Vidéo consacre à Guy Roux, l’ancien patron de l’AJ Auxerre, Gérard Bourgoin, raconte avec force détails les trajets de l’équipe bourguignonne dans son jet privé, à partir des années 1980. Bourgoin, magnat de la volaille sous vide, a appris à piloter l’avion après s’être fait retirer son permis pour des excès de vitesse répétés. Dans son cockpit, pas de radar placé sur les nuages pour l’empêcher d’appuyer sur le champignon.

« C’est ce qui faisait notre force, on avait une possibilité de récupérer plus importante. Une heure d’avion contre quinze heures de bus », décrit le gardien de l’âge d’or du club, Lionel Charbonnier. Quitte à essuyer quelques gouttes de sueur lors d’atterrissages casse-cou : « J’ai vu un Boeing arriver en face de nous, un jour où on atterrissait au Bourget », poursuit Charbonnier, qui rappelle le principe de précaution préconisé par l’entraîneur bourguignon : « J’étais dans un jet, mon remplaçant était dans un autre jet. C’était bien séparé, car s’il y avait un crash, il restait à Guy Roux la moitié de l’équipe. » 

Qu’elle paraît loin, cette époque où l’AJA faisait figure de précurseur, loin des blagues maladroites sur le « char à voile » de Christophe Galtier, l’entraîneur du PSG. Au milieu des années 1980, bien peu d’équipes dans l’Hexagone peuvent se targuer d’avoir un jet à disposition, sans passer par la salle d’attente d’un aéroport ou les interminables trajets en bus. Le jet de Bernard Tapie, époque OM, est aussi entré dans la légende du foot français… notamment pour son rôle dans nombre de transferts. Alain Giresse, meneur de jeu historique des Girondins de Bordeaux, se souvient ainsi sur RMC de l’offre du boss marseillais pour l’arracher à son club de toujours : « Bernard Tapie m’a dit : ‘Vous voyez, tout le week-end vous l’aurez, l’avion privé. Vous pourrez revenir à Bordeaux en jet. (…) Quand je suis descendu à Marseille, j’y suis descendu avec son jet et c’était lui qui le pilotait. C’était un personnage. » 

Le foot business n’en est encore qu’à ses balbutiements et les jets privés se retrouvent logiquement dans les clubs détenus par des milliardaires. Le Milan AC de Silvio Berlusconi et, plus loin de nous, le New York Cosmos de Pelé, propriété de Warner Bros, dont le patron donne un coup de main logistique à ses stars dans un pays où les distances entre les villes peuvent être considérables. Et pas que : Pelé et son orchestre se rendent aussi aux frais de la princesse au Super Bowl 1978 – comme le raconte le milieu de terrain anglais Steve Hunt dans ses mémoires* – ou dans des fêtes somptueuses où femmes et enfants sont éconduits après 23 heures.

C’est au tournant du XXIe siècle que le jet privé s’impose comme mode de déplacement privilégié des footballeurs, sous l’impulsion conjuguée du foot business, de l’élargissement des staffs des équipes et de la démocratisation – relative – de la location d’avions. Dans son autobiographie*, l’ancienne vedette de l’équipe d’Angleterre Rio Ferdinand raconte avoir découvert ce luxe à son arrivée en 2000 à Leeds United, club alors en pleine folie des grandeurs. « On n’avait pas droit aux jets privés à West Ham », pourtant autre solide pensionnaire de Premier League, écrit l’ex-défenseur. La pluie d’argent qui s’abat sur le foot anglais ruisselle sur les joueurs et sur les clubs. Ainsi, le milieu anglais Kieron Dyer, au cœur d’un transfert âprement négocié de Newcastle à West Ham, a pu faire tous les jours l’aller-retour entre son club et son domicile en jet privé*. 

Les « Galactiques » du Real Madrid, eux, ont tenté en 2007 d’offrir un avion à l’équipe première. Son petit nom, « La Saeta » (« La Flèche »), n’était pas particulièrement bien choisi. Outre son âge – une vingtaine d’années à l’époque – l’engin était particulièrement bruyant (lien en espagnol)… au point d’être privé de décollages nocturnes dans certains aéroports aux riverains sensibles, comme Athènes (Grèce) ou Brême (Allemagne). Une situation qui oblige les Merengue de Fabio Cannavaro à dormir à l’étranger après un match européen. Une situation inédite (hors finale) depuis le début des années 1980. En fin de saison, le quotidien sportif AS révèle (lien en espagnol) que la compagnie Swiftair, qui fournit l’avion au club, se sert de l’appareil floqué aux couleurs du Real pour transporter des soldats ou expulser des étrangers en situation irrégulière. « La Saeta » finit au rancart après une saison seulement.

Aujourd’hui, seuls une poignée de clubs, souvent sponsorisés par une compagnie aérienne, comme Arsenal*, possèdent leur propre avion. Quitte à effectuer des sauts de puce d’un quart d’heure vers Norwich, en 2015, au mépris de toute considération écologique. A l’époque, déjà, des associations comme Plane Stupid avaient souligné* que le même trajet était faisable en deux heures de train.

Pour le gros des écuries européennes, la stratégie consiste à louer des jets privés au cas par cas. Quitte à faire retomber les éventuels mauvais résultats sur le service dédié du club. Quand le Chelsea de Thomas Tuchel s’est pris les pieds dans le tapis à Leeds (0-3) fin août, l’entraîneur allemand ne s’est pas privé* de déplorer d’avoir dû parcourir les 250 km nécessaires pour atteindre le Yorkshire en bus plutôt qu’en avion privé, faute d’avoir pu trouver un appareil assez grand pour embarquer toute l’équipe. « Tout ce qui pouvait aller de travers s’est passé de travers », a soupiré l’ancien coach du PSG, qui a finalement été remercié par le club anglais mercredi 7 septembre.

Une solution pour accélérer la transition écologique au sommet du foot européen pourrait consister à s’inspirer des consignes drastiques de la très égalitariste MLS, le championnat nord-américain. Les clubs n’ont le droit d’affréter un avion privé que huit fois dans la saison* (c’était quatre jusqu’à la saison passée, et des dérogations sont autorisées en cas de météo extrême ou d’absence de solution avec des vols commerciaux), décrit le Guardian*.

Dans un pays aussi grand, cela tourne parfois au cauchemar et fait grogner certains joueurs. « Quel super jour de récupération ! », a ainsi tweeté, sarcastique, le défenseur de Philadelphia Alejandro Bedoya. « On aurait dû repartir de Vancouver hier soir après le coup de sifflet final. Au lieu de ça, on s’est levés à 4h45 et on a passé la journée dans des aéroports et dans des avions sans place pour les jambes… »

* Tous ces liens renvoient vers des contenus en anglais

Cliquez ici pour lire l’article depuis sa source.

Laisser un commentaire