Nick Kyrgios, les frasques d'un joueur clivant

Artiste pour les uns, hystérique pour les autres. Mais il a, jusqu’ici, plus fait parler de lui pour ses frasques que pour ses fresques. Sur le court comme en dehors. Nick Kyrgios est ainsi appelé à comparaître devant le tribunal le 2 août prochain pour une agression « dans le contexte d’une relation privée », a reconnu son avocat mardi 5 juillet.

Cette convocation survient au moment-même où l’Australien est en train de réussir son retour au plus haut niveau. Opposé au Chilien Christian Garin (43e joueur mondial), mercredi 6 juillet, Kyrgios possède une chance unique d’accéder au dernier carré de Wimbledon. Une première tentative a eu lieu voilà huit ans. On pensait alors qu’elle serait suivie d’autres croisades victorieuses. Il n’en a rien été.

Tennistiquement, Kyrgios a tout pour tutoyer les sommets. Qui est le seul joueur de l’histoire à avoir battu Federer, Nadal et Djokovic lors de ses premiers affrontements face à eux ? Qui peut servir le plomb et exécuter des demi-volées de velours en total relâchement ? Qui peut ravir les foules avec des services à la cuillère, des « no look » volées ou des « tweeners » qui font le tour du monde ? Le problème, s’il y en a un, ne se situe donc pas dans le cordage. Mais plutôt dans le cortex.

« J’ai grandi. Les gens oublient souvent que cela fait presque dix ans que je suis sur les courts. Je me sens un peu comme un vétéran maintenant. Il fut un temps où il fallait me faire sortir de force d’un pub à 4 heures du matin pour joueur un 2e tour de Wimbledon contre Nadal [en 2019]. J’ai parcouru un long chemin, c’est certain… » Ainsi parlait Nick Kyrgios en conférence de presse, après son huitième de finale victorieux à Londres face à l’Américain Nakashima. Tout y est dit sur la dualité de l’Australien, docteur Jekyll et mister Hyde d’un tennis moderne aseptisé, électron libre et incontrôlable, joueur fantasque et parfois même fantastique. On parle bien là du joueur. Pour autant, son palmarès reste vierge de la moindre demi-finale en Grand Chelem.  

« De l’importance d’être constant » : Nick Kyrgios a peut-être lu Oscar Wilde mais il n’en a jamais appliqué ce précepte. Depuis son apparition dans le ciel de l’ATP, la comète australienne n’a cessé de se consumer, de dévier de trajectoire. Pour sa première participation à Wimbledon en 2014, pourtant, son impact est fracassant. Agé de 19 ans, champion du monde juniors l’année précédente, il démantèle Rafael Nadal en huitièmes de finale. « Shocking ! » L’année suivante, il atteint le même stade de la compétition, chez lui à Melbourne, lors de l’Open d’Australie au terme d’un parcours où il est adulé comme une rock star. Et depuis, plus rien ou presque. « NK » a bien remporté six tournois sur le circuit mais n’a pu faire mieux que quelques huitièmes de finale en Grand Chelem.  

Le bruit et la fureur, eux, sont restés. Dresser la liste des incartades de Nick Kyrgios s’avère presqu’aussi fastidieux que d’énumérer les victoires de Roger Federer. S’il dit aujourd’hui « apprécier davantage la bataille » et se « sentir mûr », il ne s’est pas pour autant assagi. Son duel sous haute tension avec Stefanos Tsitsipas au 3e tour a atteint des sommets d’irrévérence. Certains, attirés par l’odeur du sang, s’en repaissent. D’autres, comme l’Australien Pat Cash, le déplorent. « Avec lui, c’est un véritable cirque. Il a amené le tennis vers les pires bassesses en termes de fair-play, de tricherie, de manipulation, de violences verbales, de comportements agressifs envers les arbitres… », déclare ainsi le vainqueur de Wimbledon en 1987 à propos de son compatriote, dans un entetien accordé à la radio BBC (audio en anglais, à 8’45).

Parmi les dérapages les plus célèbres de Kyrgios, il y a cette phrase lâchée en plein match contre Stanislas Wawrinka à Montréal en 2015 : « Kokkinakis a b**** ta copine, mec, désolé de te le dire ». A Rome, en 2019, après avoir écopé d’un jeu de pénalité pour « abus de langage », le volcan explose : il balance sa chaise et quitte le court sans serrer la main de l’arbitre et son adversaire.

Quelques semaines plus tard, il défraye la chronique lors d’un deuxième tour de Wimbledon contre Rafael Nadal en « allumant » l’Espagnol à la volée. « Je l’ai visé, ouais. Je voulais vraiment le viser en plein dans la poitrine. Pourquoi je m’excuserais ? Combien a-t-il gagné de tournois du Grand Chelem, combien d’argent a-t-il sur son compte ? Je pense qu’il peut prendre une balle dans la poitrine, mec. Je ne vais pas m’excuser auprès de lui », plastronnait-il après coup. 

Au deuxième tour à Cincinnati contre le Russe Karen Khachanov, il récolte une amende record de 113 000 dollars (environ 110 000 euros) pour « avoir quitté le court sans permission, proféré des obscénités et pour sa conduite antisportive envers son adversaire ».

C’était, là encore, en 2019, année où l’Australien confessera trois ans plus tard avoir traversé une période de dépression. « J’avais l’impression que personne ne voulait me connaître en tant que personne, qu’on voyait juste en moi le joueur de tennis pour m’utiliser. Je ne me sentais pas capable de faire confiance à qui que ce soit. C’était un endroit solitaire et sombre », revenait-il dans les colonnes du Daily Telegraph de Sydney, en novembre 2020. 

Cette année, celui qui considérait à ses débuts le tennis seulement comme un métier et avouait préférer largement le basket et la NBA, semble avoir retrouvé la joie de jouer. Tombé à la 132e place du classement ATP en janvier, l’Australien a refait progressivement surface… sauf sur terre battue sur laquelle ne manque pas de vomir dès qu’on lui en donne l’occasion. En 2019 (encore), il crachait sa bile sur Roland-Garros : « C’est de la m**** ». Il en profitait aussi pour critiquer Novak Djokovic : « Il veut être tellement aimé que je n’arrive pas à supporter ça. Ça en devient embarrassant ». Et en rhabiller Fernando Verdasco pour l’hiver : « C’est la personne la plus arrogante du monde »

Malgré son regain de forme en 2022, la foudre frappe toujours. Au tout début de cette saison, il s’attaque même à Ben Stiller, venu suivre son quart de finale à Indian Wells contre Rafael Nadal. Coupable, aux yeux de l’Australien, de faire trop de bruit, l’acteur américain se fait vertement reprendre de volée : « Est-ce que je te dis comment jouer au cinéma ? » éructe-t-il, avant, quelques instants plus tard, de fracasser une énième raquette au sol, celle-ci manquant de peu de toucher un ramasseur de balles. En conférence de presse après le match, Kyrgios n’a pas décoléré et s’en prend, cette fois, à un journaliste qui l’interroge sur ce fait de jeu : « Que veux-tu que je te dise ? C’était mon intention ? Non. C’est une question que tu vas me poser après une bataille de trois heures contre Nadal ? C’est pour ça que tu viens ici ? »

Nick Kyrgios reste à fleur de peau, ce qui lui a valu sans doute de perdre quelques-unes de ses plus belles années de tennis, malgré les coups d’éclat. A ses risques et périls.

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