C’est une image à laquelle plus grand monde n’était habitué. Pour la première fois depuis plus de deux ans, Julian Alaphilippe ne portera pas le maillot arc-en-ciel, samedi 1er octobre. Six jours après le sacre de Remco Evenepoel, le double champion du monde sortant remet, sur le Tour d’Emilie, sa tunique bleue marine de l’équipe Quick-Step Alpha Vinyl. Seuls les liserés au bout des manches rappelleront ses deux couronnes mondiales.
« J’ai pris le temps de m’imaginer sans le maillot et c’est déjà rare un coureur qui peut en profiter pendant deux ans », réagissait-il au sortir du championnat du monde sur route de Wollongong (Australie). Le symbole n’est pourtant pas anodin. « C’est quelque chose qui me manquait. Quand j’ai remis le maillot BMC, c’était un peu triste par rapport à celui arc-en-ciel, se souvient Thor Hushovd, champion du monde 2010, pour franceinfo: sport. Je ressentais une petite tristesse, une déception que ce soit terminé. »
Il faudra désormais se concentrer davantage pour repérer Julian Alaphilippe dans le peloton, chasser les réflexes visuels attirés instinctivement vers le maillot irisé conquis à Imola (Italie) puis conservé à Louvain (Belgique). « Loulou » ne s’en émeut pas du tout, bien au contraire. « Je l’ai dit 500 fois à Marion [Rousse, sa compagne] cette année : j’en ai marre, j’ai hâte de rouler tranquille. Je sais qu’on ne me considérera sans doute jamais comme un coureur lambda, mais j’ai envie d’être un coureur parmi d’autres, avec le maillot de l’équipe », lançait-il sur les ondes de RMC.
« D’un côté je me dis : vivement l’année prochaine pour que je n’ai plus à porter le maillot et que je puisse, entre guillemets, redevenir un coureur normal, moins connu, moins sollicité, plus tranquille. »
Julian Alaphilippeen conférence de presse avant les Mondiaux
Cette pression, Bernard Hinault, sacré champion du monde en 1980, ne l’a pas ressentie, comme il le confie à franceinfo: sport : « Ça n’a jamais rien changé pour moi. Aujourd’hui, il y a beaucoup plus de médias que dans les années 80 mais c’est aussi à vous, en tant que champion du monde, de choisir les sollicitations. Ça fait partie des obligations. »
Celles-ci sont de plus en plus nombreuses au XXIe siècle et par conséquent, le maillot de champion du monde revêt un poids sans commune mesure. « Directement, j’ai compris que c’était différent, détaillait le Belge Philippe Gilbert au quotidien belge La Dernière heure, quelques mois après son titre en 2012. Tout le monde vous regarde avec ce maillot. Même ceux qui ne suivent pas le vélo… » Un avis confirmé maintes fois par Julian Alaphilippe, comme à Sport Magazine : « Ce maillot engendre davantage de pression et de stress. On attend de celui qui le porte qu’il soit bon ou qu’il remporte chaque course. » S’en libérer signifie ainsi se délester d’une chape de plomb.
Après une première année réussie (une étape du Tour de France, la Flèche wallonne), le coureur de 30 ans a vécu une deuxième saison bien plus compliquée. Ses chutes à répétition (Strade Bianche, Liège-Bastogne-Liège, Vuelta), ses virus ou son absence crève-cœur lors du Tour de France ont ravivé la malédiction du maillot arc-en-ciel. Sans valider pour autant ce mythe, les chiffres confirment que le Français a beaucoup moins levé les bras avec la tunique irisée. Sur ses 37 succès professionnels (hormis ses deux titres mondiaux), il n’en a remporté « que » six avec le paletot arc-en-ciel.
Sur le Tour d’Emilie, il va moins attirer l’œil du public et du peloton. « J’avais forcément un peu moins de liberté, j’avais une forme de pression que je me mettais pour faire briller le maillot, pour essayer de l’honorer du mieux que je pouvais », expliquait-il en septembre 2021 à Louvain (Belgique), avant de doubler la mise.
Pour autant, le puncheur ne sera jamais un coureur comme les autres. Mais il attirera moins le regard de ses rivaux : « Avec son palmarès, il n’est pas un gars normal mais sans le maillot arc-en-ciel, tu es un peu plus caché, reconnaît le Norvégien Thor Hushovd. On ne te voit pas aussi facilement dans le peloton, c’est plus neutre. » Une donnée non négligeable pour un coureur aussi offensif et instinctif qu’Alaf.
« Ca ne change rien à votre prestation, estime en revanche Bernard Hinault. Que vous ayez le maillot ou pas, il faut gagner de la même manière. Vous êtes là pour faire la course. »
Dans l’équipe Quick-Step Alpha Vinyl, le maillot arc-en-ciel a juste changé d’épaules, passant de celles de Julian Alaphilippe à celles de Remco Evenepoel (22 ans). Quand les deux coéquipiers participeront à la même course, les regards se tourneront logiquement vers le Belge, désigné leader naturellement, pour laisser Alaphilippe agir dans l’ombre.
Ce ne sera pas encore le cas sur le Tour d’Emilie ni sur le Tour de Lombardie, samedi prochain, où le Français endossera le rôle de leader unique de sa formation. L’occasion parfaite pour qu’il décroche un deuxième Monument dans sa carrière après Milan-San Remo en 2019. Deuxième du Lombardie en 2017, il est toujours à la recherche d’un succès sur la Classique des feuilles mortes. Sa deuxième partie de carrière ne pourrait pas commencer sous de meilleurs auspices.
Cliquez ici pour lire l’article depuis sa source.