Benjamin Nivet lors du match opposant Troyes à l'Olympique de Marseille, au stade de l'Aube à Troyes, le 21 octobre 2012. (DENIS CHARLET / AFP)

« Je suis mort à 32 ans, le 17 mai 1987« . Dans sa biographie Ma vie comme un match, Michel Platini n’élude pas ses difficultés rencontrées au moment de raccrocher les crampons. Comment passer à autre chose quand on s’est consacré corps et âme au sport durant la majeure partie de sa vie ? Finis les stades plein à craquer, les acclamations, l’adrénaline qui monte au moment de rentrer dans l’arène. Petit à petit, il faut apprendre à vivre comme le commun des mortels.

Vivre comme tout le monde, c’est manger comme tout le monde, ce qui n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît. De nombreux sportifs connaissent des prises de poids au moment de mettre fin à leur carrière, pour des raisons parfois très différentes. Comment l’expliquer ?

Le poids est avant tout une question d’équilibre entre l’apport énergétique, qui dépend de l’alimentation, et la dépense énergétique, liée à l’activité physique. Chez les sportifs de haut niveau, cet équilibre est primordial. « Pour eux, l’alimentation est plus importante car elle permet d’atteindre un poids de forme, le poids le plus adapté à l’exercice en fonction des capacités de l’individu« , explique le Dr Roger Rua, médecin du sport. « Si un athlète continue de manger presque comme avant alors qu’il y a un arrêt brutal de la régularité de la dépense physique, il va prendre du poids« .

À la retraite depuis 2016, l’ex-international du XV de France Imanol Harinordoquy a pu observer ce phénomène tout au long de sa carrière. Même si le « Basque bondissant » apporte une nuance : « J’ai eu plutôt tendance à fondre en arrêtant le rugby. Avec mon métabolisme, j’étais même obligé de manger plus que les autres quand j’étais joueur, parce que j’avais tendance à perdre du poids« , se souvient celui qui évoluait au poste de troisième-ligne. 

L’importance de ce phénomène va dépendre de la discipline pratiquée, comme le souligne le Dr Claire Carrier, également médecin du sport et psychiatre à l’Institut national du sport et de l’éducation physique (Insep) durant douze ans : « Dans les sports à catégories de poids, comme le judo ou la boxe, l’alimentation est particulièrement contrôlée. Ça dépend aussi de la quantité d’énergie utilisée. Quelqu’un qui pratique le tir à l’arc ne va pas prendre beaucoup de poids en s’arrêtant, contrairement à un gymnaste, qui n’aura pas le même rapport à l’alimentation que lui. »

C’est à la retraite que le risque de déséquilibre alimentaire est le plus grand. Mais ce phénomène touche les sportifs tout au long de leur carrière. Pour Alexandre Marles, ancien préparateur physique du PSG et de l’OL, « c’est logique et naturel. Quand les joueurs ont une semaine à Noël, ils reviennent parfois avec un ou deux kilos de trop. Voire cinq ou six quand ils reviennent après l’été. »

Un constat partagé par Benjamin Nivet, ancien joueur de Troyes, qui a pris sa retraite footballistique à l’âge de 42 ans, à la fin de la saison 2018-2019 : « A l’intersaison, dès que je faisais trop d’excès, je sentais que mon corps était moins bien« , se souvient-il. Critiqués pour leur embonpoint en retour de vacances, des joueurs comme Eden Hazard ou Dimitri Payet ne seraient pas une exception puisqu’Alexandre Marles considère que « quasiment tous les joueurs connaissent ce type de phénomène. L’important est de perdre le poids pour la reprise de la compétition« .  

Même si tous les sportifs connaissent ce type de phénomène, l’ampleur en est différente selon les personnes. L’ancien cycliste Laurent Jalabert ou l’ex-footballeur Zinédine Zidane, par exemple, n’ont pas connu de prise de poids significative après avoir mis fin à leur carrière. Car au-delà de l’aspect physiologique, le mental et la perception du corps doivent aussi être pris en compte. Christian Ramos, psychologue-formateur spécialisé en préparation mentale, distingue deux types d’athlètes.

D’un côté, il y a ceux qui ont su définir leurs propres repères concernant leur corps, indépendamment de ceux liés aux exigences du haut niveau, et « qui ont réussi à se fixer des objectifs de développement personnel qu’ils poursuivront après leur carrière« . Benjamin Nivet est de ceux-là. « J’ai toujours fait très attention à mon poids, même en après-carrière, en continuant à faire du sport« . 

De l’autre, il y a ceux qui ont fait de leur corps un pur outil de travail en l’associant à la performance au haut niveau. « La fin de l’activité sportive régulière doit permettre, dans un premier temps, de réinstaller les grands leviers motivationnels basés sur l’accomplissement personnel, la capacité à se donner les moyens d’atteindre ses buts et le plaisir de ressentir des sensations agréables pour s’autoriser à choisir la place de son corps dans sa vie« , continue Christian Ramos. Le corps étant un outil de travail qu’on ne peut pas ranger dans un placard, il s’agit de choisir ce qu’on veut en faire, « choix qui reste, bien évidemment, très personnel« .

Imanol Harinordoquy, lui, a pris le temps d’y réfléchir. Six mois environ, à voir un kinésithérapeute deux à trois par semaine pour soigner son corps et « se faire pardonner de ce qu'[il] lui avait fait subir » pendant sa carrière. Avant se remettre au sport, parce que « quand on a été drogué à l’adrénaline pendant 20 ans, on ne peut pas ne rien faire« .

Le corps a beau être l’outil de travail du sportif de haut niveau, il reste dépendant de son esprit. L’annonce de Neymar d’envisager sa retraite internationale après la Coupe du monde 2022 montre à quel point les athlètes professionnels peuvent être usés mentalement. Quitter pour de bon le monde du sport peut constituer un autre coup dur pour un psychisme mis à rude épreuve. « La retraite d’un sportif c’est comme la fin de n’importe quel projet, un divorce par exemple« , souligne le Dr Claire Carrier. « Cela peut créer un mouvement dépressif qui fait qu’il y a une compensation à travers les choses interdites jusqu’alors, comme les gâteaux par exemple. Chez les sportifs, ça peut prendre une dimension allant jusqu’à l’addiction« . 

Sur ce point, l’ancien rugbyman et l’ancien footballeur se retrouvent. « Quand on joue, on a la pression de ‘performer’. L’exigence alimentaire que ça demande est tellement forte pendant la carrière qu’à la fin, on a envie de profiter de tout ce dont on s’est privé« , avoue l’ex-meneur de jeu troyen, qui profite désormais un peu plus de sa cave à vin : « Quand j’ai envie de me faire plaisir, je le fais« . Mais certaines habitudes ont la peau dure, comme l’explique Imanol Harinordoquy. « Je m’étais mis en tête que j’allais profiter, notamment au niveau de l’alcool puisque je ne buvais jamais de vin en semaine quand je jouais. Mais je me suis rendu compte que j’ai presque gardé mes habitudes. »  Pour autant, le Basque nous confie ne pas comprendre certaines réactions face au changement physique des athlètes : « Je trouve ça déplacé. Ce sont des gens qui ont fait de vrais sacrifices pour le sport, même si c’était son boulot. Il ne faut pas oublier tout ça.«  

D’où l’importance pour les sportifs d’être bien entourés, plaide la médecin du sport et psychiatre, Claire Carrier : « Il faut qu’on les aide à passer ce cap, parce qu’ils ne sont pas forcément capables de s’en rendre compte seuls. Qu’on les aide à mettre des mots dessus« , poursuit-elle, avant de prendre l’exemple des jeunes filles gymnastes. « C’est important qu’on continue à les trouver belles. Qu’on les félicite quand elles commencent à avoir des rondeurs alors qu’avant c’était vu comme quelque chose de problématique. Qu’on les aide à s’accepter et à être heureuse d’avoir un corps normal.« 

Si elle est particulière, la relation des athlètes retraités avec l’alimentation n’est pas fatalement conflictuelle, comme a su le découvir Imanol Harinordoquy. Celui qui se décrit comme un « grand épicurien » avoue avoir toujours été attiré par ce qui tourne autour de la « bonne bouffe« , des « belles tables » et des « jolies bouteilles« . 


Aujourd’hui, il satisfait cet attrait dans les deux restaurants qu’il tient, à Biarritz et à Pau. Et il y retrouve les moments de convivialité et de partage qu’il aimait tant quand il foulait les terrains de rugby.

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