Des joueuses s'entraînent à Hackney, dans l'est de Londres, le 20 septembre 2017.  (BEN PIPE PHOTOGRAPHY / CULTURA CREATIVE / AFP)

En matière de sport, l’Angleterre est souvent pionnière. La glorieuse histoire est connue : le football a vu le jour dans les jardins huppés des écoles privées. Cependant, certains aspects de l’aventure, notamment lorsque les femmes anglaises ont voulu suivre le mouvement initié par leurs pairs, restent dans l’ombre.

Aujourd’hui, le football féminin irradie un peu partout dans le monde. Il se prépare à être célébré lors de l’Euro anglais, du mercredi 6 au 31 juillet. Mais il faut se souvenir que cela n’a été rendu possible que grâce à la volonté de quelques passionnées.

Tout commence en 1881. Le football n’a que quelques années d’existence à cette époque mais il rencontre déjà un vif succès populaire outre-Manche, où le phénomène dépasse le cadre feutré des campus d’Oxford ou de Cambridge, pour se propager dans tout le Royaume-Uni. Pour autant, à cette période victorienne, il semble inconcevable que des femmes puissent se perdre dans des activités considérées comme masculines, tel le football. 

« Dans la société patriarcale anglaise de la fin du XIXe siècle, les femmes avaient le droit de pratiquer une activité physique », souligne le journaliste Hubert Artus, auteur du livre Girl Power. « Ces activités pouvaient même avoir lieu en public mais elles devaient nécessairement rendre hommage à leur grâce. C’est pourquoi elles étaient enjointes à faire de la danse ou de l’équitation notamment. En aucun cas, elles n’étaient supposées pratiquer un sport qui les ‘abîme’ et qui puisse mettre en danger leur fonction de génitrice… »

Hubert Artus va même plus loin dans l’analyse des mentalités de l’époque : « Les femmes ne devaient pas faire de sport de compétition car les disciplines où l’on se mesurait aux autres étaient exclusivement réservées aux hommes ». Pourtant, quelques courageuses « ladies » vont faire voler en éclats l’opacité de ces traditions archaïques. 

Le 9 mai 1981, un parfum d’audace et de scandale entoure un événement bien particulier : le premier match de football entre femmes. Il se tient à Edimbourg et oppose des joueuses écossaises et anglaises. Un millier de curieux se sont pressés aux bords de l’Easter Road Stadium pour découvrir ces filles taper dans un ballon. Mais, loin de déclencher les vivats et l’admiration, le match se termine dans le chaos, certains spectateurs masculins envahissant le terrain à la fin du match pour insulter et même molester les joueuses.

Si aucune trace écrite ne subsiste de cet événement, les spécialistes s’accordent à dire que les hommes avaient été ulcérés de constater que les femmes étaient capables de jouer la même durée de match qu’eux. « Cela remettait complètement en cause leurs croyances quant à la supposée plus grande fragilité féminine », confirme Hubert Artus. Ce dernier lie aussi ces actes à une « opposition morale car les femmes y montraient leurs genoux ». 

Voué aux gémonies, le football féminin va pourtant connaître un nouvel essor inattendu durant la Première Guerre mondiale. Les femmes britanniques sont réquisitionnées en masse pour travailler dans des usines, principalement celles qui fabriquent des armes, afin de soutenir l’effort de guerre. « On s’inquiétait de la santé physique de ces ‘munitionnettes’ car cela pouvait avoir des conséquences sur la production », explique l’historien Xavier Breuil. « On leur a donc proposé de faire du sport mais au lieu de faire de la danse comme c’était la norme à l’époque, ces femmes ont choisi de reproduire ce que faisaient leurs pères ou leurs maris »

Dès lors, le football n’est plus seulement toléré, mais encouragé. « Comme pour le travail à l’usine, il y avait une dimension patriotique dans la pratique de ce sport. Les femmes jouaient pour des œuvres caritatives et pour soutenir le pays pendant la guerre », poursuit Xavier Breuil. Il y a ainsi « une cinquantaine de clubs pendant la guerre, et 150 en 1920 ».

Pourtant, peu après la fin du conflit, tout s’arrête de nouveau. En décembre 1921, la Fédération anglaise de football décide brutalement d’arrêter la pratique du football par les femmes. Dans les faits, cela se traduit par l’interdiction faite aux clubs professionnels masculins de soutenir matériellement et financièrement les femmes. Cette décision ne sera officiellement levée qu’en 1971.

« La raison invoquée par la Fédération était que les recettes de ces matchs n’étaient pas reversées à des œuvres caritatives, certaines joueuses percevant un petit salaire, mais la véritable motivation est que les dirigeants ne voulaient pas du foot féminin », décrypte Xavier Breuil. « Ils l’avaient autorisé en 14-18 pour soutenir l’effort de guerre mais à présent ces messieurs voulaient un ‘retour à l’ordre' ».

Ces mêmes messieurs ne voient pas d’un bon œil l’émergence d’une discipline qui fait de l’ombre à la pratique masculine. Xavier Breuil rappelle que « certains matchs féminins se sont déroulés devant plus de 50 000 personnes, notamment au Goodison Park d’Everton. Il y avait une vraie concurrence avec le football masculin ».

C’est donc dans la confidentialité, presque la clandestinité, que les Anglaises vont devoir continuer de se frayer un chemin. Après la Seconde Guerre mondiale, les rencontres se montent par le biais de petites annonces placardées à la sauvette dans les rues. 

Des joueuses s'entraînent à Hackney, dans l'est de Londres, le 20 septembre 2017.  (BEN PIPE PHOTOGRAPHY / CULTURA CREATIVE / AFP)

Une fois encore, l’ostracisme rôde. « Les femmes devaient pratiquer d’autres sports. En Grande-Bretagne plus qu’en France, il y avait une dimension politique très forte », appuie Xavier Breuil. « Le football était perçu comme un moyen d’intégrer la nation britannique et dès lors que les hommes le pouvaient, il était hors de question que les femmes en fassent autant. On a, de nouveau, exclu les femmes de la sphère publique ».

A force de persévérance, les femmes britanniques vont poursuivre leurs efforts d’intégration, quand bien même les mécènes masculins qui les finançaient étaient mués par des motivations obscures. « Les équipes étaient souvent soutenues par des hommes d’affaires qui voyaient dans le football féminin un côté iconoclaste qui attirait du monde et qui pourrait leur permettre de s’enrichir. Un peu comme le catch féminin quelques années plus tard… » déplore Xavier Breuil. 

Au final, ces pionnières « revendiquaient simplement le droit de jouer au football, conclut l’historien. Elles étaient féministes car elles militaient pour une égalité entre les hommes et les femmes devant la pratique d’un sport ». L’Euro 2022 constitue ainsi une manière de les célébrer.

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