La première va à la salle de sport où elle multiplie les exercices de renforcement musculaire. La seconde alterne les séances de yoga et de mobilité. Enceintes de 7 et 8 mois, la joueuse de tennis Amandine Hesse (188e mondiale) et la double championne olympique de judo Clarisse Agbégnégnou continuent de s’entraîner, le ventre bien arrondi.
« On ne peut pas changer notre quotidien du jour au lendemain. Mais j’avoue que poursuivre les séances pendant la grossesse me permet d’être bien dans mon corps », témoigne Amandine Hesse. « Ce qui était fou en début de grossesse, c’est que les moments où je me sentais le mieux, où je ne me sentais pas fatiguée et je n’avais pas de nausées, c’était quand je faisais du sport », ajoute celle qui ne voulait pas attendre la fin de sa carrière pour avoir un enfant.
Poursuivre les entraînements en étant enceinte est sans danger pour l’athlète, bien qu’ils doivent toujours être encadrés et adaptés. Ainsi, au-delà de deux ou trois mois de grossesse, l’entraînement n’est plus effectué dans un but de performance. « On va éviter l’entraînement intensif pour rester à un entraînement à 80% de la fréquence cardiaque maximale », explique Carole Maître, gynécologue à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep), qui forme les futurs champions tricolores. « Lors des deuxième et troisième trimestres, on va adapter l’entraînement en diminuant l’intensité, la durée des séances ainsi que la fréquence », appuie la spécialiste.
En parallèle, les exercices physiques doivent eux aussi être adaptés. « Au premier trimestre, on va axer sur le gainage, le renforcement musculaire, la course à pied, le vélo. A partir du cinquième mois, on va limiter la course, qui entraîne des chocs, et davantage insister sur le vélo et le renforcement musculaire, avec des charges adaptées », développe Carole Maître.
Une athlète peut-elle pratiquer jusqu’au terme ? Oui, répond la spécialiste, mais sous certaines conditions. « On peut nager jusqu’à 15 jours du terme, avec des sessions moins longues, moins intenses, et moins régulières. L’athlète peut aussi poursuivre tout ce qui est de l’ordre de l’assouplissement, du renforcement musculaire du haut du corps, et de la marche. »
Selon les sports pratiqués, des athlètes conservent plus ou moins longtemps, sur les conseils de leurs médecins, les entraînements techniques liés à leur discipline. « Lors de ma première grossesse, j’avais beaucoup d’appréhension, car sur le lancer, il y a beaucoup de tension sur les abdos, sur les rotateurs, se remémore Mélina Robert-Michon, vice-championne olympique du lancer du disque et maman de deux enfants de 12 et 4 ans. Mais j’ai lancé normalement jusqu’au quatrième mois avant d’adapter, et jusqu’à cinq mois et demi lors de la second grossesse. » L’athlète a ensuite adapté ses exercices techniques, « avec moins de contraintes, de poids et de tensions », jusqu’à environ sept mois, puis en conservant un maintien physique presque jusqu’au terme. « A la fin, j’étais trop encombrée », rit l’Iséroise.
Pour la gardienne de l’équipe de France de handball, Laura Glauser, la donne a été différente. « J’ai arrêté les entraînements de handball vers trois mois de grossesse car j’ai eu des petits saignements. J’ai eu très peur. J’ai donc continué seulement les entretiens physiques, de vélo, de musculation notamment, avec le préparateur physique du club jusqu’à une semaine avant l’accouchement. »
Si Mélina Robert-Michon a pu s’entraîner au lancer aussi loin dans sa grossesse, c’est aussi parce qu’elle dit avoir « écouté son corps ». Le ressenti de l’athlète guide en effet l’adaptation des entraînements. « C’est essentiel, acquiesce Carole Maître. Si un jour, on est moins à même de faire une séance, on la modifie ou on la réduit. »
Amandine Hesse confirme, évoquant notamment le début de sa grossesse. « Certains jours, il y avait des exercices que je ne me sentais pas de faire, comme des sauts, des déplacements, alors je diminuais un peu. » « C’est du sur-mesure, confirme son entraîneur depuis trois ans, Benoît Hennart. Avant les séances, on est en discussion permanente avec elle, pour adapter les entraînements en fonction de son état de forme. »
Comme lors de la grossesse, la reprise post-accouchement s’effectue progressivement avec une priorité donnée à la rééducation du périnée, qui se retravaille entre huit et dix semaines après la naissance. « Toujours en tenant compte du ressenti, on reprend progressivement, par de la technique, du gainage, du renforcement musculaire du haut du corps, explique Carole Maître. Dans un deuxième temps, au bout de quatre mois, on reprend tout ce qui est course à pied, déplacement rapide, impact au sol. L’essentiel est de préserver la fonction du périnée, qui a pour fonction de soutenir les organes du petit bassin. »
Garder un rythme d’entraînement comporte des bienfaits pour l’athlète, tant pendant qu’après la grossesse. « Elle va garder ses capacités respiratoires et d’endurance ainsi que son capital musculaire, qui se perd très vite, afin d’anticiper la reprise », développe Carole Maître.
Au-delà des raisons physiques, le maintien de la pratique et du contact avec l’environnement sportif est essentiel pour le bien-être psychologique de l’athlète. « Garder les entraînements me faisait du bien à la tête. Mes deux grossesses ont été pour moi un moyen de me régénérer nerveusement. Ces parenthèses m’ont redonné une motivation supplémentaire« , livre Mélina Robert-Michon.
« Pendant notre carrière, on enchaîne les sessions, les objectifs. Pendant mes grossesses, je n’avais pas de contraintes, donc j’ai vécu mon sport sous une approche complètement différente. »
Mélina Robert-Michon, vice-championne olympique de lancer du disqueà franceinfo: sport
Le maintien de l’entraînement permet aussi aux athlètes d’encadrer leur prise de poids, indispensable pour une reprise rapide. Plus l’athlète aura pratiqué pendant la grossesse, plus la reprise sera facilitée. Là encore, tout est dans le dosage. « Si on reprend trop vite, trop fort, il y aura un risque de fracture de fatigue », met en garde Carole Maître.
« Il faut faire attention au périnée évidemment, mais aussi aux épaules, qui vont être de nouveau beaucoup sollicitées [dans le cas du tennis]« ajoute l’entraîneur d’Amandine Hesse, Benoît Hennart. « Pour la reprise, tout dépend aussi de l’accouchement, si les médecins procèdent à une césarienne ou à une épisiotomie. Cela joue sur le temps et la manière de reprendre. C’est un peu de stress », observe de son côté la joueuse.
En outre, les entraînements permettent de conserver des capacités sportives utiles le jour de l’accouchement. « Chez les athlètes de haut niveau, on a constaté que le travail de l’accouchement était plus court, souligne Carole Maître. Leur endurance les aide. Il faut aussi s’enlever de la tête une idée reçue : il n’y a pas plus de césariennes ou d’extractions par forceps chez les sportifs de haut niveau. »
Pour autant, la reprise reste dure. Toutes les athlètes interrogées le confirment. « On a l’impression de repartir de zéro, se souvient Laura Glauser, qui a accouché d’une petite fille en avril 2018. Physiquement et musculairement, c’était différent. Le corps en prend un coup. Mais j’ai connu de grosses blessures après, et pour moi, le plus dur a été de revenir de ma blessure et non de ma grossesse. »
Les premiers mois représentent un changement important entre l’allaitement, le manque de sommeil et une vie bousculée par l’arrivée d’un enfant. Après la naissance de sa fille Lou en 2017, la véliplanchiste Charline Picon a décidé de reprendre en douceur les entraînements physiques au bout de trois mois. « Tu appréhendes ton nouveau rôle de maman, cette nouvelle vie, et le projet sportif évolue forcément. Je n’étais plus concentrée uniquement sur moi-même. Lou est devenue le centre de mon projet », détaille la championne olympique de 2016, médaillée d’argent en 2020.
Si le retour aux séances d’entraînement a été rude physiquement, la Royannaise a « récupéré » plus aisément la partie technique. « J’ai vite compris que le corps avait une mémoire. Quand je suis remontée sur la planche au bout de six mois, je me suis rendu compte que c’était comme le vélo, ça ne s’oublie pas. »
« Il y avait certains jours où j’avais l’impression que je n’allais jamais retrouver mon état de forme, raconte à son tour l’ailière de l’équipe de France de basket, Valériane Ayayi Vukosavljevic. A d’autres moments, je sentais que mes muscles étaient là, qu’il fallait simplement réactiver un peu tout ça, tout comme les articulations aussi, qu’on sollicite beaucoup pendant notre carrière et beaucoup moins pendant la grossesse. » La médaillée de bronze aux JO de Tokyo a repris la compétition deux mois après son accouchement.
En partageant leurs sessions d’entraînement sur les réseaux sociaux, les athlètes tentent de casser les idées reçues affirmant qu’une femme enceinte ne peut pas pratiquer de sport. « Cela montre que l’on est capable de faire plus de choses que ce que les gens pensent », acquiesce Amandine Hesse, qui elle-même regarde ce que les autres athlètes enceintes publient pour s’en inspirer.
L’été dernier, Valériane Ayayi Vukosavljevic a aussi fait bouger les lignes. Elle a caché sa grossesse pendant les JO, avant de la dévoiler juste après la compétition alors qu’elle était enceinte de trois mois et demi. « Ce n’était pas mon objectif au départ mais j’espère qu’à ma petite échelle, j’ai pu convaincre que c’était possible. »
Le ministère des Sports a, lui, planché sur le sujet, publiant en février un guide intitulé Sport de haut niveau et maternité, c’est possible !, afin de donner des clés aux athlètes. Ces dernière saluent l’initiative. « Dans l’ensemble, c’est un sujet qui a évolué dans le bon sens. Mais je pense qu’il y a un vrai travail à faire sur les entraîneurs, parce qu’ils sont au cœur du projet de l’athlète. Si l’entraîneur ne le soutient pas, c’est tout de suite plus dur, constate Mélina Robert-Michon. Les gynécologues aussi doivent mieux se former sur le sujet. » Il reste donc encore du chemin avant que ces sportives interrogées ne soient plus perçues comme des exceptions.
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