Salomé Vincendon

Plusieurs types d’études doivent être réalisées et montrer des résultats concordants pour pouvoir affirmer qu’un élément est cancérogène. Un processus long et souvent complexe.

« En changeant nos habitudes de vie, nous pouvons réduire nos risques de cancer », écrit sur son site le centre Léon Bérard, à l’occasion de la journée mondiale de lutte contre le cancer, ce samedi 4 février. Il est en effet estimé qu’en France « environ 40 % des cancers pourraient être évités en modifiant nos comportements ».

On sait que la consommation d’alcool, de tabac peut entraîner des cancers, tout comme la trop forte consommation de viande rouge, mais l’exposition à d’autres substances présentes dans notre environnement peut également se révéler dangereuse. Or pouvoir éviter ou limiter nos contacts avec ces produits, encore faut-il les identifier.

Le CIRC (Centre international de recherche sur le cancer), organe de l’Organisation mondiale de la santé, recense ainsi dans son dernier rapport 122 agents qui sont des cancérogènes avérés, parmi lesquels l’opium ou le tabac. Il liste 93 autres cancérogènes « probables » et 319 cancérogènes « possibles ».

L’Union européenne possède elle aussi un classement similaire des substances considérées comme cancérogènes. Cela lui permet de réglementer voire d’interdire leur utilisation et leur circulation en Europe.

Cancérogène « possible », « probable » ou « avéré »?

Pour effectuer ce classement, ces organismes étudient les « faisceaux de preuves » scientifiques autour des substances suspectes, explique à BFMTV.com Henri Bastos, directeur scientifique Santé et Travail de l’Anses (agence nationale de sécurité sanitaire).

Leur méthode « va mobiliser trois types d’études », détaille Béatrice Fervers, professeure associée en cancérologie, responsable du département prévention cancer et environnement du centre Léon Bérard. Il y a « les études épidémiologiques, donc chez l’homme, les études expérimentales chez l’animal de laboratoire, notamment chez les rongeurs, et les études in vitro sur culture de cellules, pour comprendre les mécanismes d’action », soit des tests en laboratoire.

Pour qu’un produit soit classé « cancérogène possible« , « on se repose sur des études humaines et/ou animales, mais qui ne sont pas suffisamment convaincantes pour classer la substance en tant que cancérogène avéré ou probable » explique Henri Bastos. « Les informations disponibles suggèrent un effet cancérogène mais ne sont pas concluantes », résume le CIRC.

Une substance peut être classée au niveau supérieur, « probable cancérogène », avec, par exemple, des études concluantes sur deux espèces animales et de premières études épidémiologiques positives mais qui présentent des limites, continue Henri Bastos.

Le glyphosate est par exemple considéré par le CIRC comme « probablement » cancérogène, un avis « basé sur des preuves ‘limitées’ de cancer chez l’homme et des preuves ‘suffisantes’ de cancer chez des animaux de laboratoire. »

Car même si certaines substances ont « montré des effets cancérogènes dans le modèle animal », ce qui reste « une indication forte », ce n’est pas suffisant pour trancher définitivement, note Béatrice Fervers: les effets cancérogènes observés chez l’animal ne seront pas forcément les mêmes chez l’homme.

La catégorie des cancérogènes avérés, « est utilisée lorsqu’il existe des preuves suffisantes de cancérogénicité chez l’homme ». « En d’autres termes, il y a une preuve convaincante que l’agent provoque le cancer chez l’homme », explique le CIRC.

Et cette preuve convaincante est généralement due aux résultats positifs d’études épidémiologiques qui « permettent d’observer une association entre l’exposition à un cancérogène et le risque de cancer », déclare Béatrice Fervers. Mais le chemin pour y arriver peut être long.

Substance = tumeur? « Pas évident »

Premier problème, il peut être difficile de cibler l’effet d’un produit en particulier dans une étude, car « on est exposé tout au long de notre vie à tout un tas de choses » potentiellement cancérogènes, souligne à BFMTV.com Marc Audebert, directeur de recherches à l’INRAE. Il y a en effet des causes multifactorielles aux cancers: génétiques, environnementales, alimentaires, dues aux modes de vie… Une exposition in-utero peut même être à l’origine d’un cancer.

En ce sens, « il n’est pas forcément évident d’avoir un lien de causalité direct certain: substance = tumeur ».

La consommation de tabac est par exemple associée à plusieurs types de cancer. S’il y a des fumeurs dans une cohorte, comment savoir si leur potentiel cancer est dû à l’élément évalué plutôt qu’au tabac? Il faut donc plusieurs études épidémiologiques avec des publics différents, nombreux et qui présentent des conclusions allant dans le même sens.

« Lorsque l’on trouve dans différentes études, réalisées dans différents pays ou contextes, une association positive avec ce même cancérogène, on a un argument fort », résume Béatrice Fervers.

Quelle exposition à la substance?

Il y a également la question de la toxicité d’un produit et de la dose à laquelle la population y est exposée. Marc Audebert prend l’exemple du benzo(a)pyrène, un composé présent dans le charbon et le pétrole. Ce produit a été pointé du doigt pour sa dangerosité après qu’on a remarqué au Royaume-Uni que les ramoneurs développaient, proportionnellement, plus de tumeurs que le reste de la population.

« Historiquement, c’est en observant des populations de travailleurs qu’on a acquis le plus de connaissances » sur les produits cancérogènes, explique Henri Bastos.

En effet, les doses plus importantes « de substances ou composés dangereux et la fréquence forte à laquelle ils peuvent y être exposés dans l’industrie peut contribuer à l’apparition des maladies », plus facilement.

Si les molécules cancérogènes « sont peu usitées et qu’il y a donc une faible exposition », il est beaucoup plus difficile de les identifier, souligne Marc Audebert. Mais si elles ne présentent pas de problème immédiat de santé publique, il reste important de les identifier car un jour elles pourraient être utilisées à haute dose dans certains procédés chimiques.

Parfois des dizaines d’années avant un effet

Autre difficulté pour les scientifiques: le cancer peut se déclarer plusieurs années après l’exposition au cancérogène, voire des décennies. Une étude épidémiologique peut en conséquence « nécessiter des années » avant d’arriver à des conclusions, qui peuvent être négatives, explique Béatrice Fervers.

Pour toutes ces raisons, les cohortes de patients sont particulièrement utiles aux chercheurs: des centaines, voire des milliers de personnes donnent régulièrement des données très diverses (lieux de vie, habitudes, alimentation, maladies…) sur plusieurs années, ce qui peut permettre d’identifier de potentiels cancérogènes.

Béatrice Fervers souligne également la nécessité pour établir la cancérogénicité d’une substance de démontrer comment celle-ci peut, à terme, provoquer un cancer. Un cancérogène peut agir en provoquant une mutation de l’ADN, ou une inflammation chronique ou encore avoir un impact sur la réponse immunitaire de la personne atteinte. Et « beaucoup, n’agissent pas que par un seul mécanisme », mais par « 2, 3, 4, 5, 6 ou 7 » mécanismes différents.

« Si on ne trouve pas le mécanisme biologique on peut se dire que (le cancer) est peut-être lié à autre chose qui n’a pas été mesuré », déclare Béatrice Fervers.

« Cela explique pourquoi parfois, même si on a des arguments qui nous disent ‘là il y a quelque chose’, on n’est pas forcément en capacité de trancher », conclut-elle.

De nouvelles méthodes à l’étude

Aujourd’hui, « ce qui est important c’est d’avoir le plus de connaissances possibles sur les substances mises sur le marché afin d’être capable d’identifier les substances toxiques », souligne Henri Bastos. Et « plus le temps passe, plus le niveau des connaissances scientifique augmente, qui nous permet d’affiner nos évaluations et d’adapter les décisions qui les concernent ».

Car le spécialiste le souligne, il n’est pas nécessaire qu’un produit soit classé « cancérogène avéré » pour qu’il soit soumis à une régulation dure ou une interdiction, « le classement en tant que cancérogène présumé produit en général les mêmes effets règlementaires ».

Le formaldéhyde – notamment utilisé dans la fabrication de résines – a ainsi été classé cancérogène de catégorie 1B (soit cancérogène probable) en 2014 par l’UE, mais « en France, les employeurs ont l’obligation de rechercher des alternatives depuis l’arrêté du 13 juillet 2006 », indique l’Anses.

Des chercheurs travaillent actuellement sur de nouvelles méthodes pour identifier des molécules cancérogènes dans notre environnement. C’est le cas du Dr. Marc Audebert, qui met en place des essais pour détecter plus rapidement et plus certainement le potentiel cancérogène des substances et ce « sans avoir recours à des tests sur les animaux ».

Salomé Vincendon Journaliste BFMTV

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