Critiqué pour ses activités dans le milieu du pétrole, l’émir Sultan Al Jaber, président de la COP28 qui s’ouvre ce jeudi à Dubaï, défend ses ambitions en matière d’écologie et rejette les accusations de conflits d’intérêts.
Peut-on être président d’une conférence internationale sur le climat tout en dirigeant l’une des plus grandes entreprises pétrolières de la planète? Selon l’intéressé, Sultan Al Jaber, émir, ministre et président de la COP28 qui s’ouvre aux Émirats arabes unis ce jeudi, ces deux fonctions ne sont pas contradictoires.
Un avis loin d’être partagé par ses nombreux détracteurs, principalement en Occident: responsables politiques et ONG craignent que ses intérêts dans le milieu de l’or noir ne le poussent à brider les ambitions de la communauté internationale en matière de transition écologique, et particulièrement sur le volet des énergies fossiles.
Un pied dans le pétrole, l’autre dans le renouvelable
À 50 ans, Sultan Ahmed Al Jaber est un dirigeant occupé. PDG de la principale firme pétrolière émiratie, ADNOC, dont il veut augmenter la production d’or noir et président d’une grande entreprise d’énergie renouvelable, Madsar, qui construit depuis 15 ans une « ville verte » dans le désert émirati, il est aussi ministre de l’Industrie et des Technologies avancées.
Également envoyé spécial des Émirats pour le climat à l’ONU (poste qu’il a occupé de 2010 à 2016 et à nouveau depuis 2015), il est fier d’avoir participé à 11 COP, dont la 21e, en 2015, qui avait donné naissance aux ambitieux accords de Paris.
En janvier 2023, il est nommé à la tête d’une COP28 dont l’un des objectifs est de formuler un premier bilan officiel huit ans après la signature des accords signés lors de la COP21, dont l’objectif était de limiter à 1,5°C l’augmentation de la température moyenne sur Terre par rapport à l’ère préindustrielle.
« M. Al Jaber est le premier PDG à occuper le poste de président de la COP. Il apporte avec lui un sens aigu des affaires, une compréhension approfondie de l’économie et tire parti de son expérience de plusieurs décennies dans le secteur de l’énergie, qui englobe à la fois les énergies renouvelables et les énergies traditionnelles », vante une courte biographie consultable sur le site officiel de la COP28.
Selon Sky News, les Émirats arabes unis prévoient d’investir 54 milliards de dollars dans l’énergie renouvelable d’ici à 2030, mais ADNOC compte dépenser une somme trois fois supérieure (environ 150 milliards de dollars) pour accroître les capacités de production de pétrole et de gaz d’ici à 2027.
Accusations de conflits d’intérêts
Ces différentes fonctions lui confèrent une certaine expertise dans les sujets de gouvernance internationale liés à l’écologie et au changement climatique, mais interroge sur sa capacité à favoriser une économie mondiale qui se passerait des énergies fossiles, dont le pétrole, l’un des piliers économiques des Émirats arabes unis et des autres pays de la région.
Interrogé par l’hebdomadaire L’Express en janvier 2023, François Gemenne, spécialiste de géopolitique de l’environnement, estimait que Sultan Al Jaber devrait « démissionner pour éviter tout conflit d’intérêts ». Il entrevoyait alors la possibilité d’une stratégie délétère des Émirats arabes unis en soulignant que « le meilleur moyen de faire ralentir ou capoter les discussions sur le climat est d’organiser la conférence soi-même « .
Ce lundi, la BBC et le Centre for Climate Reporting ont publié une enquête sur la base de nombreux documents et selon laquelle l’émir aurait profité de ses réunions et échanges avec des dirigeants internationaux organisées dans le cadre de la COP pour chercher à conclure des marchés pétroliers et gaziers. 30 pays interlocuteurs sont cités par la BBC, dont la Chine, l’Allemagne, le Brésil ou encore et l’Egypte.
« Ces allégations sont fausses, incorrectes, inexactes », a assuré Sultan Al Jaber à Dubaï, interrogé par des journalistes à Dubaï lors d’un événement sur le site de la COP28 ce mercredi.
« Je vous pose une question: pensez-vous que les Émirats arabes unis ou moi-même ayons besoin de la COP ou de la présidence de la COP pour établir des accords ou des relations commerciales? », a-t-il poursuivi. « Je n’ai jamais, jamais vu ces éléments de langage, je ne les ai jamais utilisés ».
« Je ne peux pas croire que ce soit vrai », avait réagi le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres, interrogé par des journalistes.
Sultan Al Jaber a été pris « la main dans le sac », a tonné l’ancienne cheffe de l’ONU Climat, Christiana Figueres, comparant sur X les révélations au scandale du diesel ayant touché Volkswagen en 2015. Pour Kaisa Kosonen, la coordinatrice des politiques chez Greenpeace International, le sommet « devrait se concentrer sur le fait d’avancer sur des solutions climatiques de manière impartiale, pas sur des marchés d’arrière-plan qui alimentent la crise ».
Des sénateurs américains qui ont alerté au cours des derniers mois sur les risques de conflits d’intérêts se sont également émus de ces révélations.
Une voix qui porte hors de l’Occident?
Malgré les critiques et les accusations, Sultan Al Jaber et les Émirats arabes unis incarnent une puissance alternative sur les questions de développement et de lutte contre le réchauffement climatique pour de nombreux autres pays. Les pays occidentaux intiment depuis longtemps aux puissances émergentes de s’engager sur la voix de la transition écologique au risque de freiner leur croissance, et promettent des fonds d’aide qui n’arrive que pas ou tardivement.
En mai, le président des Seychelles, dont le territoire est mis en danger par la montée des eaux, a jugé sur CNN que les pays occidentaux « promettent et ne tiennent pas leurs promesses, mais ils vous disent qu’il faut continuer à protéger la planète ». Il affirme qu’à l’inverse, les Émirats arabes unis ont financé des centrales éoliennes et solaires aux Seychelles.
« Je pense que l’engagement des Émirats arabes unis en dit long », a résumé le président des Seychelles.
Également interrogé par CNN sur le fait que les Émirats arabes unis accueillent la COP28 en étant un État reposant sur l’exploitation du pétrole, le président du Kenya William Ruto, considéré comme l’un des leaders de la transition écologique dans une Afrique de l’Est en proie aux catastrophes naturelles, avait affirmé qu’il n’y voyait pas d’inconvénient. Les Émiratis sont les « plus gros investisseurs en matière d’énergies renouvelables »,
Un argument que le président de la COP28 a fait sien: « L’argent doit être acheminé rapidement et de façon fluide vers là où il doit aller afin que les pays du Sud n’aient pas à choisir entre l’action climatique et le développement », avait estimé Sultan Al Jaber aux délégués lors d’une cérémonie d’ouverture de la COP à Dubaï, en octobre.
Des compensations pour les pays vulnérables
La percée majeure de la COP27, qui se tenait en 2022 à Charm-el-Cheikh, en Égypte, a été la création d’un fonds destiné à compenser les « pertes et dommages » des pays particulièrement vulnérables face aux désastres climatiques et moins responsables historiquement des émissions de gaz à effet de serre.
Mais la mise en œuvre de ce nouveau fonds se révèle complexe, et les négociations patinent depuis un an. Parmi les questions à régler: qui doit payer? Qui en bénéficiera? Qui doit être chargé de sa gestion?
Début novembre, un fragile compromis a été trouvé sur son fonctionnement Sultan Al Jaber récemment déclaré dans une interview à l’AFP espérer qu’il puisse être avalisé par les pays dès le début de la COP28, afin de créer une impulsion positive.
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