Crises d’angoisse, stages anti-stress, arrêts de travail… Le crash du Rio-Paris a profondément marqué les navigants d’Air France, au point de modifier leur façon d’exercer leur métier.
« Ce drame nous a marqué au fer rouge. » Comme beaucoup de ses collègues, Sophia* a appris la disparition de l’AF447 en rentrant de vol, le 1er juin 2009. En voyant les messages et alertes s’afficher sur son téléphone portable, l’hôtesse de l’air s’est immédiatement imaginé le pire. « Un avion qui se volatilise des écrans radars en pleine nuit, au-dessus de l’Atlantique… Je n’avais aucun espoir », se souvient-elle encore émue.
Peu de temps après, ses craintes deviennent une triste réalité. L’Airbus A330 d’Air France s’est abîmé en mer quelques heures seulement après son décollage de Rio de Janeiro, avec 216 passagers et 12 membres d’équipage à son bord. Les jours suivants, les premiers débris de l’appareil et des corps sont retrouvés, mais il faudra attendre deux longues années avant de localiser l’épave, à 3900 mètres au fond de l’océan.
« Dans les couloirs de la cité PN (personnel navigant) à Roissy, tout le monde pleurait, je n’avais jamais vu ça », raconte Catherine*, hôtesse de l’air depuis 1982.
« On avait déjà connu des catastrophes avec le crash du Concorde par exemple, mais là… Il y avait quelque chose de différent. Le Paris-Rio sur l’A330, c’est un vol qu’on a tous fait, on aurait tous pu être à la place de l’équipage qui a péri », ajoute-t-elle.
Stress et anxiété
Les yeux rougis par les larmes, l’esprit occupé par le drame, hôtesses et stewards remettent malgré tout leur uniforme, accrochent leurs insignes bleu marine et rouge, et repartent en vol, aux quatre coins du monde.
« En retournant dans l’avion, juste après l’accident, j’ai eu l’impression de monter dans un cercueil », retrace Isabelle Méline.
Chaque heure passée en cabine est un supplice pour cette hôtesse de l’air désormais à la retraite. « J’étais extrêmement stressée, j’avais du mal à respirer. Avant chaque départ, j’écrivais un mot avec mes dernières volontés que je laissais sur ma table de nuit pour que ma famille le trouve si jamais je ne revenais pas ». À la fin de l’été 2009, après une énième crise d’angoisse, Isabelle Méline consulte finalement le psychologue de l’entreprise qui lui diagnostique un stress post-traumatique et l’arrête pendant deux mois.
L’hôtesse de l’air recommence ensuite à voler mais accompagnée d’un « référent », un PNC (personnel navigant commercial) formé pour apporter un soutien psychologique. « À chaque vol, il était avec moi, je pouvais me confier sur mes angoisses, il m’aidait à gérer mon stress », raconte-t-elle. Cet accompagnement a duré deux mois puis Isabelle a repris son activité « comme avant », avec une condition toutefois.
« Je n’ai plus jamais accepté de destination qui supposait de traverser l’Atlantique. »
« Dix années d’angoisse »
Sophia, elle, n’a plus jamais fait de Paris-Rio. « Je ne connaissais pas l’équipage qui est mort, mais je me suis senti tellement concernée par ce drame que je n’ai plus eu le cœur de retourner au Brésil », une destination pourtant très prisée des navigants pour ses fêtes, ses plages et le soleil. Pour Emma*, c’est l’Airbus 330 qu’il a fallu rayer de ses compétences.
« Mon premier vol après le crash était un Buenos Aires (en Argentine), et à la première turbulence, je me suis effondrée en larmes. Je me suis dit: ‘Je ne vais pas y arriver' », raconte cette mère de trois enfants.
Elle s’est donc inscrite à un stage anti-stress organisé par la compagnie, ouvert aux navigants comme aux passagers. Dans la session d’Emma, ils étaient trois, se souvient-elle, tous navigants et anxieux depuis le crash. « Il y a une partie théorie, des échanges avec des psychologues et surtout, une séance avec des pilotes dans un simulateur de vol. C’est ça qui m’a permis de reprendre confiance », détaille l’hôtesse qui a rejoint la compagnie en 2007.
D’autres ont renoncé aux tours de repos organisés sur chaque long-courrier, trop angoissés à l’idée de se retrouver coincés dans l’exigu « poste-repos ». Cette petite pièce, interdite aux passagers, est présente dans tous les avions, soit au niveau de la soute soit au-dessus de la cabine. Elle est composée de couchettes individuelles séparées par des rideaux, parfois superposées les unes au-dessus des autres.
« Après le crash, je n’y suis jamais retournée, j’avais l’impression d’être dans un tombeau », explique Isabelle Méline, partie à la retraite en 2019.
« En fait, entre 2009 et 2019, ça a été dix années d’angoisse. Arrêter de voler a été une libération », confie-t-elle, des trémolos dans la voix.
Traumatisme général
À des degrés différents, le crash du Rio-Paris semble avoir touché l’ensemble des navigants. Un traumatisme général que Gérard Feldzer, ancien pilote d’Air France et consultant en aéronautique, attribue au côté mystérieux de l’accident, survenu en pleine nuit, pendant que certains dormaient, alors que l’Airbus A330 traversait un orage au-dessus de l’Altlantique.
« On imagine que les hôtesses et stewards du Rio-Paris sont restés dans l’inconnue totale. Ils sentaient que ça bougeait mais ils ne savaient pas pourquoi. Et ils étaient totalement impuissants, ils n’auraient rien pu faire pour sauver la situation », analyse-t-il.
Et d’ajouter: « L’autre grand coupable dans l’instauration de cette peur, c’est la justice. » Après une longue succession d’expertises, les juges d’instruction ont prononcé un non-lieu général, considérant que le crash résultait d’erreurs humaines commises par les pilotes. Scandalisées par cette décision, les familles des victimes ont interjeté appel et ce sont finalement les manquements fautifs de la compagnie aérienne et de l’aviateur qui ont été retenus.
À partir de ce lundi, Air France et Airbus – qui contestent toute faute pénale – vont donc être jugés pour homicides involontaires treize ans après les faits. Or, « plus on attend dans l’incertitude de savoir ce qui s’est passé, plus on est fragilisé. Laisser le doute, c’est laisser la peur s’installer et se propager », estime Gérard Feldzer.
*Les prénoms ont été modifiés
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