Treize ans après le crash du Rio-Paris, Air France et Airbus comparaissent devant le tribunal correctionnel pour homicides involontaires. L’enquête conclut à des manquements fautifs de la part des sociétés mais elles, nient toute faute pénale.
Les feux clignotants rouge et vert de l’Airbus A330 fendent la nuit au-dessus de l’Atlantique. Le vol AF447 a quitté Rio de Janeiro à 22h29 ce 31 mai 2009 et fait route vers sa destination, l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle, avec 216 passagers à son bord et 12 membres d’équipage. Trois heures après son décollage, l’appareil entre dans une zone bien connue des pilotes sur cette trajectoire, le « pot au noir ». Un espace de rencontre des masses d’air des hémisphères nord et sud propice aux développements orageux.
Quelques secousses se font sentir en cabine. Le copilote Pierre-Cédric Bonin suggère au commandant de bord, Marc Dubois, de changer de niveau de vol afin de quitter la zone de turbulences. « Une certaine inquiétude est perceptible dans son insistance », selon les échanges captés par les enregistreurs de vol et étudiés par le Bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile (BEA).
« Le commandant de bord se montre très peu réactif vis-à-vis des préoccupations exprimées par son collègue. Il semble avoir une bonne expérience et ne paraît pas personnellement inquiet (au pire il s’attend à être gêné dans son repos par la turbulence) », rapportent les enquêteurs.
À 2h00, Marc Dubois, 58 ans, part donc se coucher dans le poste-repos, laissant les deux copilotes aux commandes, comme le prévoit la procédure. Mais dix minutes plus tard, les turbulences s’intensifient. Soudain, le pilote automatique se désengage et les indications de vitesse perdent toute cohérence pendant plusieurs secondes.
Pensant que l’avion perd de l’altitude, Pierre-Cédric Bonin essaie de corriger la trajectoire en tirant sur le manche mais l’alarme de décrochage s’enclenche et retentit en continu pendant 54 secondes. Pris de panique, David Robert, l’autre copilote, envoie des signaux dans le poste-repos pour avertir le commandant de bord.
Une chute de 4 minutes vers l’océan
Marc Dubois rejoint le cockpit environ 1 minute et 30 secondes après le déclenchement des alarmes mais ne parvient pas à identifier l’origine des dysfonctionnements qui s’enchaînent. Le copilote continue de tirer sur le manche, pensant redresser l’avion. En réalité, cette manœuvre empêche de mettre fin au décrochage. L’AF447 chute, à plat, pendant quatre minutes avant de s’abîmer au milieu de l’Atlantique à 2h14, ne laissant aucun survivant.
228 personnes de 32 nationalités différentes, dont 73 Français, périssent dans le crash. Nicolas Toulliou, 27 ans, un passionné de voyage en déplacement professionnel, Ivan Lorgéré et Olivier Guillot-Noël, membres du CNRS, de retour d’un colloque franco-brésilien, François Henry, 39 ans, un stewart d’Air Austral en vacances avec son amie Céline Guittard, 34 ans, hôtesse d’Air France…
À partir de ce lundi et jusqu’au 8 décembre, les proches des victimes seront au tribunal judiciaire de Paris pour le procès qui les oppose aux compagnies Air France et Airbus, renvoyées pour homicides involontaires. 489 parties civiles sont à ce jour constituées et espèrent, après 13 longues années d’attente, qu’un jugement « équitable » soit enfin rendu.
« Il s’agit de la plus grande tragédie de l’aviation française, il est extrêmement important qu’un jugement sanctionne les responsables. Il ne faut pas d’impunité », explique à BFMTV.com Danièle Lamy, présidente de l’association AF447, entraide et solidarité.
Cette ancienne enseignante a perdu son fils, Eric, dans l’accident. Durant le procès, elle témoignera au nom de sa famille et des membres de son association qui représente 33 passagers. « Ça va être très compliqué de revivre ce moment douloureux mais c’est une étape indispensable », estime-t-elle. « Ce procès, on s’est battu pour l’avoir, on ira jusqu’au bout. »
« Les pilotes sont des victimes »
Le renvoi d’Air France et Airbus en correctionnelle a en effet failli ne pas avoir lieu. En 2019, les juges d’instruction ont prononcé un non-lieu général, considérant que le crash résultait d’erreurs humaines commises par les pilotes. Scandalisées par cette décision, les familles des victimes ainsi que le parquet ont interjeté appel et ce sont finalement les manquements fautifs de la compagnie aérienne et de l’aviateur qui ont été retenus.
À l’origine du crash, l’enquête pointe le gel des sondes Pitot, trois capteurs installés à l’avant de l’avion pour mesurer sa vitesse. À cause du givre, les indications anémométriques envoyées au poste de pilotage à 2h10 sont apparues erronées. La panne a déstabilisé les pilotes qui ont répondu de manière inappropriée à une succession de dysfonctionnements techniques.
« L’ensemble des analyses met en évidence le manque d’information et de formation des équipages par Air France sur le phénomène de gel des sondes Pitot et sur la procédure à mettre en place, ce qui a contribué à l’accident ne permettant pas à l’équipage de réagir correctement », conclut l’enquête.
« Nous considérons que les pilotes sont des victimes au même titre que le reste de l’équipage et que les passagers. Ils n’auraient jamais dû se retrouver dans une telle situation, avec un matériel qui ne leur a pas signalé d’où venait le problème », martèle Danièle Lamy.
Air France et Airbus contestent des manquements fautifs
Ce manque d’information et de formation pose question car la compagnie aérienne a été alertée à plusieurs reprises. L’année précédant le crash, 15 vols Air France ont rencontré ces mêmes dysfonctionnements liés au gel des capteurs, dont 9 ont fait l’objet d’un rapport par les pilotes.
« Air France aurait dû avoir l’autorité suffisante pour exiger auprès d’Airbus le changement des sondes Pitot, comme l’ont fait Air Caraïbes et XL Airways », souligne Ophélie Toulliou, qui a perdu son frère Nicolas, 27 ans, « alors que la vie lui tendait les bras. Il venait de demander sa compagne en mariage… » Contactée, l’avocate de la compagnie aérienne s’est refusée à tout commentaire.
Quant à Airbus, le rapport d’investigations conclut que l’aviateur a « sous-estimé la dangerosité des incidents anémométriques consécutifs au givrage des sondes ». Jusqu’ici, Air France et Airbus contestent les manquements fautifs qui leur sont reprochés.
« La compagnie Air France continuera à démontrer, désormais devant le tribunal correctionnel, qu’(elle) n’a pas commis de faute pénale à l’origine de cet accident », avait réagi la société à l’annonce de son renvoi.
« Depuis le début, ils tentent de faire de ce procès celui des pilotes, des coupables faciles puisqu’ils ne sont plus là pour se défendre », déplore Ophélie Toulliou. Après tant d’années, la jeune femme réclame « la vérité. Il n’est jamais trop tard pour rendre justice. Quand on a perdu un frère, un enfant, on ne passe jamais à autre chose ».
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