Salomé Vincendon

La forêt usagère de la Teste-de-Buch est gérée de façon exceptionnelle en France, régie par des lois datant du Moyen Âge, sous le feu des critiques aujourd’hui.

L’important incendie qui court dans la forêt de la Teste-de-Buch depuis une semaine est-il en partie dû à un mauvais entretien de la zone? C’est la question qui a émergé ces derniers jours, et créé un début de polémique. La semaine dernière, les pompiers, déplorait déjà le fait que cette forêt usagère soit plantée sur un cordon dunaire et ne soit pas entretenue, ce qui rend les opérations difficiles, en plus du vent changeant et de la chaleur.

« Si cette forêt était mieux entretenue, peut-être que le problème aurait été d’une ampleur totalement différente, que le feu aurait été arrêté », déclare également sur notre antenne ce mardi Patrick Davet, maire de la Teste-de-Buch. « Quand je pense qu’aujourd’hui on est à 6500 hectares [brulés], j’ai une colère folle, donc pour cela il va falloir mettre des règles, viendra le temps des responsabilités des uns et des autres ».

• Le statut spécifique de cette forêt remonte-t-il au Moyen Âge?

Oui

Avant de comprendre la polémique en cours, il est important de s’arrêter sur le statut très particulier de la forêt de La Teste-de-Buch, au centre des débats. « Il date du Moyen Âge et c’est ce qu’on appelle le régime des ‘baillettes et transactions' », explique la députée Renaissance (ex-LREM) de Gironde Sophie Panonacle, sur BFMTV ce mardi.

« La forêt usagère (FU) de la Teste-de-Buch constitue une exception dans le paysage forestier français, en ce qu’elle semble être la seule forêt privée grevée de droits d’usage fondés en titre par une série de ‘baillettes et transactions’ remontant, pour les plus anciennes, au début du XVème siècle », explique le ministère de l’Agriculture.

Ces droits empêchent l’exploitation du bois. Cela signifie que c’est une forêt dans laquelle il était interdit de couper du bois pour le vendre. Globalement, la coupe de bois dans cette zone doit se faire avec l’accord de tous les usagers sur place, or ils sont très nombreux, plusieurs centaines.

« Les propriétaires sont propriétaires du sol, mais ne sont pas propriétaires des arbres donc effectivement les coupes doivent être décidées de manière collective entre les syndicats d’usagers et les syndicats de propriétaires », explique Sophie Panonacle.

Les élus écologistes se sont-ils opposés aux aménagements de sécurité?

Non

Le gouvernement avait été saisi en 2021 au sujet de l’abattage des arbres dans cette zone par des élus écologistes, notamment après une demande d’un « Plan Simple de Gestion ». Le Plan Simple de Gestion est un « outil d’analyse des fonctions économique, écologique et sociale de sa forêt. Il programme les coupes et travaux », explique le site du ministère de l’Agriculture.

Il s’agissait alors de déterminer, si « c’est le code forestier » qui prime sur place, ou si on « doit rester au règlement de ce texte du XVe siècle. Ma question s’est portée sur cela, à savoir qu’est-ce qui régit cette forêt? » explique la sénatrice de Gironde EELV Monique de Marco sur BFMTV.

« La seule chose que nous demandions c’est que le respect de la réglementation qui s’applique à cette forêt usagère, qui est très particulière, soit respectée », explique de son côté Vital Baude, conseiller régional EELV de Nouvelle-Aquitaine, et conseiller municipal d’Arcachon. « L’intervention qui a été menée par un ensemble d’élus, écologistes, mais pas que, avait pour objectif de respecter cette réglementation ».

Le gouvernement avait d’ailleurs donné raison à leur demande, selon un compte-rendu Sénat, dans lequel on peut lire que la ministre de la transition écologique « pense qu’accéder à une telle demande [celle du Plan Simple de Gestion, ndlr] créerait un précédent mettant illégitimement fin à cette gestion de la forêt, vertueuse et respectueuse de l’environnement ».

Les deux élus rappellent ne s’être « pas du tout » prononcés contre les aménagements prévus en termes de sécurité incendie, « tout le monde est d’accord pour protéger ce patrimoine naturel », assure Vital Baude.

« La gestion proche d’une évolution naturelle de la forêt usagère permettant la préservation de sa biodiversité exceptionnelle n’est pas du tout incompatible avec la mise en place de toutes les voies d’accès incendie nécessaires », écrivait lundi sur Twitter Monique de Marco. Soulignant que le rapport rendu par le gouvernement sur cette question « préconise un meilleur accès en cas d’incendie. Les travaux étaient prévus pour cet été. »

Des associations écologistes se sont-elles opposés au recalibrage de chemins d’accès?

Oui

Car au cœur de la polémique actuelle, on retrouve un projet d’élargissement des pistes forestières, permettant la circulation des camions de pompiers, et améliorant ainsi la protection incendie de la zone. Il avait été vigoureusement critiqué par certaines associations, comme l’Association de Défense des Droits d’Usage (ADDUFU), car il entraînait des coupes d’arbres, et avait été retardé après un recours de leur part. Certains attribuent à ce retard l’importance des feux dans cette zone actuellement.

« Au prétexte de l’urgence du recalibrage des chemins utilisés par les engins de la DFCI [Défense des Forêts contre les Incendies] pour la mise en sécurité incendie de la Forêt Usagère, l’État essaye une nouvelle fois de passer en force, au mépris des Baillettes et Transactions », écrit l’association dans un prospectus. L’État « cautionne l’intervention d’une entreprise privée pour couper, sous la seule responsabilité des techniciens de la DFCI, des arbres qui appartiennent aux usagers. »

Dans le rapport rendu par le ministère de l’Agriculture en janvier 2022 – réalisé à la suite de la demande des écologistes – on peut lire que « les installations DFCI (pistes, citernes, puits) paraissent adaptées », sur cette zone. Toutefois, des travaux prévus début 2021, « dans l’objectif d’élargir des pistes afin de faciliter le passage des engins du SDIS n’ont pas pu avoir lieu », en raison du recours déposé par l’ADDUFU. Ce dernier avait été déposé « au motif que ces coupes d’emprise n’avaient pas été planifiées dans les respects des dispositions des baillettes et transactions », explique le rapport.

« L’abattage des arbres gênant la circulation des véhicules d’incendie et de secours, sur les chemins et pistes de la forêt usagère de la Teste-de-Buch ne peut être réalisé sans l’aval des syndics », écrivait finalement le rapport du ministère, attestant de la prépondérance du droit des baillettes et transactions sur la zone. Il qualifiait toutefois ces travaux « d’urgents », rappelant que la flore dans cette zone représente « un combustible idéal » en cas d’incendie.

Les travaux auraient-ils pu empêcher l’incendie?

Non

Si le sujet était encore conflictuel localement, « des travaux étaient en cours », assure Monique de Marco. « Les travaux étaient en cours, bien tardivement je vous l’accorde, mais ils étaient en cours », abonde la députée Sophie Panonacle.

L’ADDUFU se défend de son côté d’être à l’origine de l’importance des feux en cours. « Actuellement, il y a un deuxième incendie à 60 kilomètres de là, qui touche une forêt de sylviculture [la forêt de Landiras, ndlr], cultivée, nettoyée et entretenue. On a deux forêts différentes qui brûlent de la même façon », plaide auprès de Libération sa présidente Christine Peny. Sur la zone de Landiras, 12.800 hectares ont brûlé selon le dernier bilan de la préfecture, contre 6500 sur la zone de la Teste-de-Buch.

Monique de Marco pointe également du doigt « l’intensité de ce qu’il se passe à Landiras, alors que tout est planifié, prévu avec des pare-feux, des accès pompiers, là nous sommes sur un phénomène que nous n’avons pas du tout de maitrise », déclare-t-elle, rappelant les « intenses sécheresses à répétition » dans la région, qui ont aussi permis ces feux.

La nature de la forêt, avec des espèces très inflammables, a également été pointée du doigt depuis le début des incendies. En plus de la sécheresse actuelle, et de la météo particulièrement défavorable, les feux importants en cours en Gironde sont dus « à la conception même de ces forêts avec des pins très anciens, de très grande hauteur, et cette essence d’arbre particulièrement inflammable, avec des pins très resserrés qui donnent une puissance phénoménale à ces incendies », explique sur notre antenne le lieutenant-colonel Éric Agrinier, porte-parole de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France.

Le modèle sera-t-il rediscuté après l’incendie?

Oui

« Il faut regarder comment sont constituées ces forêts, il faut avoir différentes espèces, parce que là, on voit que ce sont dans les Landes plutôt les pins maritimes, une espèce qui s’enflamme très rapidement », déclare sur notre antenne Fanny Petitbon, experte climat pour l’association CARE France. Il faut apprendre à « anticiper », à « débroussailler » et « mettre plus de moyens » dans ces forêts, continue-t-elle.

« C’est sûr qu’il faut revoir » le modèle en place, déclare également la sénatrice, « il n’est pas suffisamment adapté » au réchauffement climatique actuel pour la région. « On va y réfléchir ensemble de façon intelligente et responsable. Moi, je ne veux plus d’incendie sur ma commune » déclare à Libération le maire de la Teste-de-Buch, interrogé sur les règles actuelles de la forêt usagère.

« Le bilan, nous le tirerons collectivement, tous ensemble », a déclaré la députée Sophie Panonacle, refusant de désigner aujourd’hui un responsable de la situation. « Il va falloir envisager l’avenir avec les élus, les associations de propriétaires, d’usagers, l’Office National des Forêts, pour voir comment on retravaille cette forêt, comment on replante intelligemment » et « en tirant les leçons de ce qu’il s’est passé ».

Salomé Vincendon Journaliste BFMTV

Cliquez ici pour lire l’article depuis sa source.

Laisser un commentaire