la nouvelle Première ministre Liz Truss, "amie" ou "ennemie"?

Durant la campagne qui lui a permis de prendre la tête, lundi, du Parti conservateur britannique et du gouvernement insulaire ce mardi, Liz Truss s’est fait remarquer par ses sorties acerbes contre Emmanuel Macron. En réaction, ce dernier a soufflé le chaud et le froid.

Liz Truss sera-t-elle l’amie ou l’ennemie de la France d’Emmanuel Macron? La question, un peu abrupte, rebondit comme une balle perdue à l’issue d’un ping-pong verbal. Car dans la dernière ligne droite de sa campagne pour prendre la tête du Parti conservateur et succéder à Boris Johnson à la tête du gouvernement britannique – qui s’est achevée par sa désignation lundi et une passation de pouvoirs à Balmoral ce mardi – Liz Truss a clairement exprimé ses réserves à l’égard du président de la République. Celui-ci a vivement réagi, avant de tenter de calmer le jeu.

Cet affrontement à distance traduit les tensions qui animent les relations franco-britanniques depuis quelques mois. Et la méfiance des Tories au moment de regarder de l’autre côté de la Manche.

Estocades

C’est Liz Truss qui a allumé la première mèche le 25 août dernier lors d’une réunion publique à Norwich, en plein coeur de sa circonscription électorale du Norfolk. À la journaliste animatrice de l’événement qui lui demandait si elle considérait Emmanuel Macron comme un « ami » ou un « ennemi », elle avait rétorqué: « Le jury est toujours en train de délibérer ». Puis enchaîné: « Si je deviens Première ministre, je le jugerai sur ses actes et pas sur ses mots ». Double-uppercut qui lui a d’ailleurs valu les applaudissements de l’assistance conservatrice.

D’après l’essayiste expert des thématiques européennes Patrick Martin-Genier, il faut voir dans ces vivats l’héritage d’une tradition d’hostilité des Tories à l’égard de la France. « Il est de bon ton au sein du Parti conservateur de taper sur l’Europe et sur la France, car ça flatte l’égo populiste et nationaliste de la base de son électorat. C’est particulièrement vrai de Liz Truss, qui a été soutenue par l’aile la plus à droite du parti », analyse-t-il auprès de BFMTV.com.

La réponse française ne s’était, en tout cas, pas fait attendre. Le lendemain, en marge de son déplacement à Alger, Emmanuel Macron avait taclé: « La nation qui est le Royaume-Uni est une nation amie, forte et alliée, quels que soient ses dirigeants, et parfois malgré et au-delà de ses dirigeants ou des petites erreurs qu’ils peuvent faire dans des propos d’estrade. » « Si on n’est pas capables, entre Français et Britanniques, de dire si on est ami ou ennemi – le terme n’est pas neutre – on va vers de sérieux problèmes », avait-il encore averti.

Lundi, toutefois, après l’annonce de la victoire de Liz Truss au bout du processus de désignation, Emmanuel Macron a cherché à apaiser le débat. Au cours d’un point presse, il a promis: « Nous sommes à disposition pour pouvoir travailler entre alliés et amis ». « Toutes mes félicitations à Liz Truss pour son élection. Le peuple britannique est un peuple ami, la Nation britannique, notre alliée. Continuons à travailler ensemble pour la défense de nos intérêts communs », a-t-il prolongé sur Twitter en parallèle.

Le chef de l’État a listé ces « intérêts communs », évoquant les « coopérations énergétiques » – notamment autour du thème du nucléaire tandis qu’EDF bâtit deux réacteurs à Hinckley Point – ou encore la lutte contre le réchauffement climatique.

Des options différentes en Ukraine

Ces dossiers ne masquent cependant pas les dissenssions. Et les députés conservateurs que BFMTV a interviewés lundi au congrès entérinant le triomphe de Liz Truss ne l’ont pas dissimulé. « Elle n’a pas eu l’air franchement amicale à l’égard d’Emmanuel Macron », a d’abord reconnu le parlementaire Mel Stride, avant de s’essayer à plus d’optimisme: « Mais maintenant qu’elle doit coopérer avec l’un de nos alliés les plus précieux, je suis sûr qu’elle se comportera comme il se doit ».

Son confrère Mark Francois a quant à lui pontifié: « Je le dis très formellement, nous devons nous serrer les coudes entre Occidentaux ». Ce détour par l’Occident se comprend comme une référence à la nécessité d’une entraide européenne face aux menées russes en Ukraine. Certes, la France et le Royaume-Uni sont tous deux des alliés résolus du pays agressé, mais ils défendent des options différentes. Quand Emmanuel Macron tient à maintenir les canaux de discussion ouverts avec le Kremlin, le gouvernement britannique – et donc Liz Truss, alors ministre des Affaires étrangères – s’est montré plus rigide. Boris Johnson a ainsi multiplié les visites à Kiev.

La Russie, elle, ne s’interroge d’ailleurs pas tellement sur la qualité de ses rapports à venir avec la cheffe du gouvernement. « Si on juge par les déclarations de Mme Truss, faites lorsqu’elle était encore ministre des Affaires étrangères (…), on peut dire avec beaucoup de certitude qu’il ne faut pas s’attendre à des changements vers le mieux », a en effet lâché ce mardi Dmitri Peskov, porte-parole de la présidence russe auprès de l’agence TASS.

Truss en première ligne sur la pêche

Mais la pomme de discorde repose moins dans la capitale ukrainienne qu’au fond d’un filet de pêche. Si, en avril dernier, les deux nations ont semblé mettre un terme à leur duel sur les licences accordées aux pêcheurs français, la controverse a empoisonné les relations bilatérales à compter de l’automne 2021. Après la conclusion du Brexit, le Royaume-Uni a en effet recouvré la pleine souveraineté sur ses eaux territoriales, particulièrement poissonneuses. Pour que les travailleurs de la mer européens, et notamment les Français, puissent continuer à y accéder, ils se devaient de solliciter une licence auprès des autorités britanniques.

La France a vite reproché à son partenaire de n’octroyer ce document qu’au compte-goutte, brandissant même l’éventualité de lancer une procédure en contentieux auprès de la Commission européenne. « Menace inacceptable » pour Liz Truss alors. Patrick Martin-Genier remarque d’ailleurs que le différend n’est pas encore tout à fait soldé: « On n’est toujours pas sûr que l’application des quotas en matière de pêche ».

Irlande du Nord, migrants: confrontations européennes

Un autre litige alourdit le passif diplomatique de la nouvelle Prime minister: la délicate situation commerciale en Irlande du Nord. Au grand dam du gouvernement britannique, le Brexit a précipité la sortie de l’Ulster du marché intérieur du Royaume-Uni, imposant des contrôles douaniers sur les articles arrivant de Grande-Bretagne. Cette fois, cependant, le conflit est plutôt européen que strictement franco-britannique. Mais Liz Truss en est bien partie prenante. « Elle a décidé d’introduire à la Chambre des Communes un projet de loi visant à détricoter l’accord signé sur ce point entre Boris Johnson et l’Europe, à le vider de sa substance. Elle pourrait déclencher une guerre commerciale! » s’inquiète Patrick Martin-Genier.

Notre interlocuteur soulève une ultime bataille entre Liz Truss, la France et l’Europe: la question migratoire. « La France est accusée par les Briotanniques d’être une passoire. Or, le Royaume-Uni n’a toujours pas versé l’intégralité de la somme due pour que les Français, entre autres, augmentent les effectifs afin de lutter contre l’immigration illégale », souligne Patrick Martin-Genier.

Rupture

On le voit, Liz Truss ne manquera pas d’occasions de se faire des « amis » en France et plus largement sur le continent. Mais, au fond, la donne est-elle si différente de celle proposée par Boris Johnson, eurosceptique par excellence et pas exempt de positions peu amènes envers l’Hexagone?

« Au-delà de ses propos, Boris Johnson, en réalité, aime la France, la respecte. Il a eu une relation complexe mais amicale avec Emmanuel Macron. C’est un homme d’une grande culture, qui sait parler au peuple, tout en sachant prendre du recul », répond Patrick Martin-Genier qui contraste: « Liz Truss, elle, a une position très dure, et a confirmé qu’elle entendait gouverner en ‘conservatrice’. Ce qui n’augure rien de bon pour ses relations avec l’Europe et la France ». Notre expert achève: « Si elle ne prend pas un peu de hauteur, elle va au-devant de graves difficultés avec la France ».

Robin Verner Journaliste BFMTV

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