L’ancien patron de la place Beauvau estime que l’accueil en France des migrants transportés par l’Ocean Viking est un « appel d’air » qui va créer un « précédent ».
Gérard Collomb sort du bois. En retrait de la vie publique depuis qu’il se bat contre un cancer à l’estomac, l’ancien ministre de l’Intérieur a pris la parole par deux fois ce week-end pour critiquer l’accueil de l’Ocean Viking, navire transportant 230 migrants, à Toulon vendredi.
Le jour même, Gérard Collomb, a pointé sur son compte Twitter un « tournant dans la politique de l’immigration en France ». « En accueillant maintenant l’Ocean Viking, on ouvre une nouvelle brèche, créant un précédent », insiste-t-il dans une interview pour l’hebdomadaire Le Point publiée dimanche.
« Pour moi, cela ne peut qu’encourager les réseaux de passeurs pour qui les migrants sont une source de gains considérables – les chiffres varient de 7 à 30 milliards d’euros au niveau mondial », poursuit Gérard Collomb.
Selon lui, si « on peut être ému par tous ces cas individuellement », à ne « s’en tenir qu’à une réaction de sensibilité, on renforce plus le problème qu’on ne le résout, en créant un appel d’air ».
Un départ lié à des désaccords avec Emmanuel Macron sur l’immigration ?
L’ex-socialiste, devenu ensuite l’un des principaux soutiens d’Emmanuel Macron en vue de l’élection présidentielle de 2017, exhorte le président de la République à ne pas « s’enferme[r] dans cette politique d’acceptation de nouveaux navires ».
Il lance un avertissement: « s’il continue, la prochaine fois ce ne seront plus des femmes et des hommes politiques modérés qui auront à gérer les problèmes d’immigration. Regardez ce qui s’est passé en Suède« . Une référence à la victoire dans le pays, lors d’élections législatives en septembre dernier, d’un bloc réunissant la droite et l’extrême droite.
Dans son interview, Gérard Collomb indique également que ses divergences de vues avec le gouvernement en termes de politique migratoire sont la raison de sa démission surprise, intervenue en octobre 2018. À l’époque, il l’expliquait, officiellement, par sa volonté de briguer de nouveau la mairie de Lyon, après avoir été l’édile de la capitale des Gaules de 2001 à 2017, puis entre 2018 et 2020.
Dans son entretien au Point, il raconte une autre histoire. Son départ serait dû à un désaccord avec Emmanuel Macron concernant la création de « centres contrôlés » pour accueillir les migrants, une initiative de la Commission européenne.
Gérard Collomb détaille: « L’idée originelle est de créer ces centres hors de l’Union européenne, en Tunisie, au Maroc et en Albanie. Ces trois pays refusent, en disant, en substance, qu’ils ne sont pas là pour résoudre nos problèmes. Emmanuel Macron propose alors d’ouvrir un tel centre soit à Toulon, soit à Marseille, et il demande au préfet de l’époque, Pierre Dartout, d’y travailler. Je suis alors ministre de l’Intérieur, et je suis à fond contre ce projet ».
« La vision immigrationniste de Macron confirmée »
Pour lui, si « l’on ouvrait tous ces centres de contrôles, tous les migrants resteraient sur notre sol ». L’ex-locataire de la place Beauvau évoque son émotion, lorsqu’il s’est rendu à Marseillle le 1 er octobre 2018 pour commémorer la mort de deux jeunes filles, assassinées par « un Tunisien en situation irrégulière », qui » aurait dû être placé […] en centre de rétention administrative à Lyon pour être expulsé ».
« Je pense alors: ‘Je ne veux plus que cela se reproduise’ Et si je laisse se réaliser l’installation de ce centre de contrôle, je me sentirai plus tard responsable des actes qui pourraient entraîner la mort de personnes », explique-t-il.
Ces propos ont donné du grain à moudre à la droite et l’extrême droite, lesquelles fustigent l’accueil de l’Ocean Viking. Pour Marine Le Pen, « ce témoignage […] confirme la vision immigrationniste qu’Emmanuel Macron n’a en réalité jamais cessée d’avoir ».
Selon Jordan Bardella, désormais président du Rassemblement national (RN), ces « aveux […] confirment nos dirigeants savent les dangers de la submersion migratoire (terrorisme, insécurité, perte d’identité), mais font délibérément le choix de la poursuivre ». Quant à Éric Ciotti, le député Les Républicains (LR) a sommé le président de « s’expliquer » sur ce qu’il interprète comme une « complaisance avec l’immigration irrégulière ».
De son côté, Gérard Collomb s’est défendu dans Le Point de favoriser la formation de Marine Le Pen par ses propos. « C’est à force de ne pas prendre de décision en matière migratoire que l’on fait le jeu de l’extrême droite », juge-t-il, avant d’insister: « Les sociaux-démocrates suédois ont tardé à prendre en compte ce problème, regardez le résultat ! ».
Une argumentation « un peu confuse »
Si le camp présidentiel n’a pas encore réagi, Mathieu Croissandeau, éditorialiste à BFMTV, souligne plusieurs éléments d’une « argumentation un peu confuse par moments » concernant Gérard Collomb.
D’abord, il « explique qu’il avait été rassuré par la fermeté d’Emmanuel Macron avec l’Aquarius », un navire transportant des migrants que la France a refusé d’accueillir en 2018. « Cela, c’était quand même avant sa démission », souligne Mathieu Croissandeau.
Il ajoute ensuite qu’il est « curieux de démissionner pour quelque chose qui ne s’est pas fait », en l’occurrence les « centres contrôlés ». Enfin, notre éditorialiste estime que « ça laisse toujours une drôle d’impression d’entendre un responsable politique dire ‘on aurait dû, on n’aurait pas dû, il aurait fallu' » alors que ce dernier était en responsabilité. « Septembre 2018, c’est la date de promulgation de [la] loi asile et immigration » de Gérard Collomb, rappelle-t-il.
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