Raymond Mis et Gabriel Thiennot ont été jugés coupables de l’assassinat d’un garde-chasse en 1946 à Mézières-en-Brenne, dans l’Indre. Aujourd’hui encore, leurs défenseurs souhaitent qu’ils soient réhabilités. Mais la thèse de l’erreur judiciaire est contestée par d’autres.
Même après leur mort, Gabriel Thiennot et Raymond Mis sont toujours présents dans l’Indre. Des rues, une place, un square, un pont… Au total, une trentaine de communes du département ont donné leurs noms à des lieux. Affirmer que les deux hommes hantent la mémoire des habitants du coin n’est pas exagéré, diront même certains. « C’est une affaire qui touche à vif », résume Léandre Boizeau.
En 1980, cet « enfant du pays » a fondé un comité de soutien en faveur de Mis et Thiennot. L’objectif: obtenir un procès en révision pour les deux chasseurs, condamnés à trois reprises pour l’assassinat d’un garde-chasse en 1946. Un meurtre qu’ils ont d’abord avoué avant de se rétracter, déclarant avoir été torturés par des policiers qui souhaitaient obtenir des aveux forcés.
Depuis, la mobilisation des membres du comité de soutien ne s’essouffle pas: six requêtes en révision ont été faites depuis 1980, toutes rejetées. Il en faut cependant plus aux défenseurs des condamnés pour baisser les bras: une septième requête a été déposée au mois de juin dernier auprès de la Cour de révision.
Une réponse positive de la Cour irait « au-delà du soulagement », commente auprès de BFMTV.com Me Pierre-Emmanuel Blard, avocat du comité de soutien.
Louis Boistard, tué de quatre balles en 1946
Il faut revenir en 1946 pour comprendre les racines d’une affaire qui dépassera, les années passant, le simple fait divers. Le 29 décembre, Louis Boistard, le garde-chasse du domaine de Blizon, du côté de Mézières-en-Brenne dans l’Indre, disparaît soudainement. Il faudra deux jours aux enquêteurs pour retrouver son corps, laissé sans vie dans un étang, criblé de plombs.
Rapidement, la police oriente ses investigations vers un petit groupe de chasseurs, un témoin ayant rapporté avoir entendu une altercation entre Louis Boistard et des braconniers peu avant l’assassinat. Parmi les suspects, Raymond Mis et Gabriel Thiennot, alors âgés de 19 ans.
Avec leurs huit compagnons de chasse, Mis et Thiennot passent huit jours en garde à vue. Après avoir maintenu qu’ils n’ont jamais rencontré Louis Boistard ce jour-là, les dix chasseurs finissent, début janvier, par livrer des aveux.
Des aveux extorqués?
Selon le récit qu’ils auraient alors fourni aux policiers, après avoir d’abord croisé le garde-chasse, qui les auraient menacés en leur demandant de s’éloigner du domaine dont il a la charge – la fameuse altercation entendue par un témoin -, ils auraient décider de continuer leur partie de chasse sur le même terrain. Louis Boistard serait revenu vers eux, furieux. Gabriel Thiennot et Raymond Mis auraient alors ouvert le feu sur lui, le tuant de quatre balles.
Mais les chasseurs finissent par se rétracter, quelques jours plus tard: selon eux, ce récit leur a été extorqué à grand renfort de violences par les policiers présents en garde à vue.
« Ils nous faisaient faire ‘la prière des Juifs’, à genoux sur une règle en fer! Tous nus, pendant des heures entières, il fallait tenir le plus longtemps possible, et quand on s’écroulait, on nous lançait des seaux d’eau à la figure », racontait, en 1984, Gabriel Thiennot, interviewé dans un reportage pour le journal d’Antenne 2.
Malgré leurs démentis, Gabriel Thiennot et Raymond Mis sont jugés et condamnés à trois reprises à 15 ans de travaux forcés, reconnus coupables par la justice de l’assassinat du garde-chasse. Ils n’effectueront que 7 ans de leur peine, René Coty leur accordant, en 1956, une grâce présidentielle.
« À leur retour, ils ont été accueillis en héros par la population », assure Léandre Boizeau.
Grande mobilisation dans l’Indre
Aujourd’hui âgé de 82 ans, il a baigné dans cette affaire depuis son enfance, « comme beaucoup de gens de la région ». C’est donc tout naturellement que l’idée lui vient d’écrire un livre à propos de l’affaire. Intitulé Ils sont innocents! et paru en 1980, l’ouvrage connaît un franc succès, encourageant son auteur à créer le comité de soutien pour Mis et Thiennot, qui depuis des années affirment qu’ils ont été victimes d’une erreur judiciaire.
« Il y a eu une mobilisation générale des habitants de l’Indre. Lors des réunions du comité, on laissait les portes de la salle des fêtes ouvertes car tout le monde ne rentrait pas à l’intérieur », se souvient Léandre Boizeau.
« Les gens sont persuadés de l’innocence de Mis et Thiennot », assure-t-il.
Contre-enquêtes
Une conviction générale… qui en laisse malgré tout quelques-uns sur le bord de la route. Deux ouvrages parus cette année questionnent cette version portée depuis des années par le comité: La fabrique des innocents, de l’avocat Gilles Antonowicz, et L’affaire Mis et Thiennot, contre-enquête, de l’ex-commissaire de police Jean-Louis Vincent.
Le premier s’appuie sur de multiples articles et reportages télévisés et retrace les évolutions de la couverture médiatique de l’affaire, quand le deuxième s’attache au fond du dossier, auquel son auteur a eu accès.
Malgré ces différences de méthodes, les deux s’attachent à montrer pourquoi l’erreur judiciaire décriée depuis des dizaines d’années n’en est, selon eux, pas une. Des livres qu’ils ont écrits sans savoir au départ qu’ils travaillaient simultanément sur le même sujet, tiennent-ils à préciser.
Au cœur de leurs démonstrations réside surtout l’idée selon laquelle les tortures n’ont peut-être jamais eu lieu.
« Qu’on pense qu’il convient de les faire réhabiliter parce qu’ils sont innocents, je l’entends. Encore faut-il en être certain. Or, je prétends qu’ils ne le sont pas, il y a de lourdes charges contre eux », affirme Jean-Louis Vincent.
Ce dernier détient une photo prise quelques jours après la garde à vue, montrant les suspects exempts de bleus sur le visage lors de leur arrivée en prison. « Quand on regarde les visages, il n’y a pas de traces de coups. On n’est pas sur des gueules cassées comme ça a été raconté », estime-t-il. « Où sont les preuves de ces tortures? », demande à son tour Gilles Antonowicz.
« Ils sont devenus presque intouchables »
Commentant les nombreuses apparitions télévisées et les passages à la radio de Gabriel Thiennot et Raymond Mis, ce dernier estime qu’un « lobying politique » a été mené sans discernement pendant toutes ces années. « C’est un festival de mensonges, de falsifications des faits. Thiennot en rajoutait des couches sans arrêt, je crois qu’il a lui-même fini par croire à son histoire », lance-t-il.
« Ils ont une sorte d’aura. Ils sont devenus presque intouchables là-bas », conclut Jean-Louis Vincent.
Léandre Boizeau, de son côté, avoue ne pas avoir pris connaissance des deux ouvrages. « Ça m’écœure un peu. Mais je reste dans mon combat », déclare-t-il sobrement. Car derrière lui, ils sont nombreux à poursuivre la lutte pour accéder à un procès en révision. Ce « totem de l’histoire » du coin, le député de l’Indre François Jolivet en a, lui aussi, entendu parler depuis son plus jeune âge: « C’était le sujet du pays, comme on dit à la campagne. »
Élu il y a cinq ans, il se met en tête de se battre pour un procès en révision. « C’était l’un de mes objectifs. J’estime que la politique sert à réparer les inégalités de destin, et ici, c’est une inégalité juridique », commente-t-il auprès de BFMTV.com.
Fait rare, il met alors au point un amendement « sur-mesure », permettant d’ouvrir la voie plus facilement à un procès en révision pour les affaires dans lesquelles des aveux ont été extorqués par la violence. Un texte « écrit à quatre mains avec Eric Dupond-Moretti », assure le député, qui finit par être voté à l’Assemblée et au Sénat.
Une révision en vue?
Alors que les six requêtes précédentes ont été rejetées au motif qu’il n’y avait pas d’élément nouveau au dossier, ce nouvel amendement assouplit les conditions d’accès à une révision de procès et constitue un nouvel espoir pour les défenseurs de Mis et Thiennot.
« C’est une grande avancée », commente Me Pierre-Emmanuel Blard. « On table sur une première audience devant la Commission d’instruction avant la fin de l’année. » Même Jean-Louis Vincent et Gilles Antonowicz ont peu de doutes sur la possibilité d’un procès en révision.
Si l’audience a réellement lieu, celle-ci serait cependant un peu particulière: pas de procès d’assises en vue, les deux condamnés étant morts en 2003 et 2009.
« Les héritiers demanderont simplement à ce que la mémoire des morts soient déchargée, c’est-à-dire qu’ils soient innocentés par une nouvelle décision de justice », détaille l’avocat du comité.
Et même l’hypothèse d’un nouvel échec ne semble pas entamer la détermination des soutiens des chasseurs, comme l’affirme leur conseil. « Si cette septième requête est rejetée, on réessaiera. C’est le combat d’une vie. »
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