Une radio de la mâchoire de Cécile, à qui de nombreuses dents ont dû être extraites ces dernières années.

Douleurs chroniques, inflammation généralisée, incapacité à marcher… De nombreux patients, victimes de puissants antibiotiques, envisagent de porter plainte et demandent l’ouverture d’une enquête pénale afin d’établir la responsabilité des autorités de santé. Trois victimes des fluoroquinolones racontent leur calvaire à BFMTV.com.

La vie d’Aurélie P. a pris un tournant imprévu le 17 juin 2010, seulement 20 minutes après avoir avalé ses cachets de Tavanic, un antibiotique que venait de lui prescrire son ORL dans l’espoir de traiter ses otites et sinusites à répétition. Ce jour-là, l’ORL lui prescrit « le double de la dose recommandée, sans mise en garde particulière », se souvient cette juriste près de Chartres (Eure-et-Loir).

« Il y a eu un avant et un après, j’ai eu une 2e vie après cette date », raconte cette femme de 42 ans, qui a depuis déclenché « une batterie de graves problèmes de santé, sur le plan neurologique comme hématologique, qui restent aujourd’hui encore incompris par les meilleurs spécialistes de l’APHP ».

Cette semaine, une série de plaintes devraient être déposées à Paris par une dizaine de patients pour des « blessures involontaires » qu’auraient provoquées de puissants antibiotiques prescrits hors autorisation. Comme Aurélie, ces patients affirment souffrir « d’effets indésirables parfois graves et potentiellement irréversibles » depuis la prise d’antibiotiques de la famille des fluoroquinolones. La quadragénaire espère désormais pouvoir, elle aussi, porter plainte, initiée par Philippe Coville.

« Statistiquement impossible d’avoir autant de malchance »

Le 17 juin 2020, Aurélie se souvient qu’elle se trouvait sur son lieu de travail quand elle a eu « des nausées et des vertiges assez impressionnants », au point de devoir rentrer chez elle. « Puis ça n’a fait que s’aggraver, la nuit suivante a été épouvantable, avec des brûlures atroces au niveau de tous les tendons, sur lesquels on aurait pu faire cuire un œuf », raconte-t-elle.

Semaine après semaine, les choses ne font qu’aller de mal en pis pour Aurélie, qui n’avait pourtant jamais eu de problèmes de santé avant cela. Maux de tête, brûlures aux tendons, acouphènes, diplopie, confusion, perte de poids… le début d’un long calvaire pour la jeune femme, qui ne pourra plus poser le pied à terre pendant presque deux ans.

Aujourd’hui, la quadragénaire remarche difficilement. « Le mieux que je puisse faire c’est une balade d’une heure gentiment », témoigne cette femme, qui a dû arrêter de travailler à cause de son état de santé. À ce jour, elle oscille entre périodes de stabilité et crises de douleurs insupportables.

Après deux méningites en 2014 et en 2016, on lui a depuis diagnostiqué une gammapathie monoclonale. « C’est statistiquement impossible d’avoir autant de malchance », commente-t-elle, totalement abattue par ces années de souffrance.

Un seul comprimé de Tavanic, pris en avril 2021 pour une suspicion d’épididymite, a suffi à faire vivre à Amaury un véritable enfer. « J’ai assez vite compris qu’il y avait un problème car dès le lendemain, j’ai ressenti d’énormes douleurs anormales aux tendons: épaules, genoux, coudes, poignets, tendons d’Achille. Je n’avais jamais rien eu de comparable auparavant », explique le jeune homme de 31 ans, qui décrit « des décharges électriques au moindre mouvement ».

Un quotidien terni et pesant

Deux jours après, Amaury était lui aussi incapable de marcher. « J’ai passé trois mois invivables, où j’allais de mon lit à mon bureau. Je marchais en crabe et aucun professionnel de santé n’était capable de dire ce que j’avais. On ne me croyait pas, ou on me disait que c’était dans ma tête », raconte ce jeune entrepreneur, qui vit à Paris.

Depuis six mois, Amaury parvient à remarcher, mais jamais plus de 5000 pas par jour, sous peine de douleurs insupportables. Une situation difficile à vivre pour cet ancien sportif en pleine santé, qui avait l’habitude de faire près de 15h de tennis par semaine.

« Cette perte d’autonomie a été très dure, même au niveau de mon couple. Pendant des mois, je ne pouvais plus rien faire: ni partir en week-end avec ma copine, ni aller faire les courses, ni même promener le chien. C’était très lourd pour ma compagne ».

Mais après de longs mois de léthargie et de désespoir, le jeune homme commence à peine à reprendre un semblant de vie normale, grâce à un nouveau mode de vie qu’il a adopté sur les conseils d’autres victimes des fluoroquinolones. Si les douleurs sont toujours présentes au quotidien, « au moindre mouvement inhabituel », elles sont parfois moins intenses et restent contrôlables. Depuis un an, Amaury a ainsi arrêté de consommer de l’eau du robinet, il est devenu végétarien, ne mange plus de gluten et prend toute une batterie de compléments alimentaires.

« Est-ce que c’est la raison pour laquelle ça s’est amélioré? Peut-être, mais je n’en suis pas sûr. On navigue un peu à vue, de manière empirique », affirme le trentenaire parisien, qui assure qu' »il faut être solide psychologiquement pour ne pas avoir des idées noires car on est comme prisonnier de son propre corps ».

« Ça m’aura volé ma vie! »

Le cas de Cécile G. est peut-être l’un des plus lourds connus en France. À la suite d’une intervention dentaire, Cécile contracte une infection urinaire pour laquelle son médecin lui prescrit des fluoroquinolones: le début d' »une descente aux enfers » pour cette femme de 45 ans.

Après la prise de la vingtaine de cachets qui lui sont prescrits, elle est victime d’une inflammation généralisée avec atteinte multiple des tendons et œdème des membres inférieurs. À ce moment-là, elle ne peut plus marcher et passe la plupart de son temps alitée ou en fauteuil roulant, et ce pendant plusieurs mois. Douleurs rénales, osseuses et musculaires, perte partielle de la vue, neuropathie, essoufflement… sa qualité de vie est fortement diminuée par une liste de symptômes interminables.

« Je ne parviens plus à dormir tellement les douleurs sont atroces, et je n’arrive plus à m’alimenter car manger ou boire devient un supplice et ravive l’inflammation généralisée. Je perds une dizaine de kilos en quelques jours », raconte la Vendéenne à BFMTV.com.

Après plusieurs mois d’alitement, alors qu’elle recommence doucement à retrouver ses capacités physiques, elle rechute gravement après l’utilisation de matériaux dentaires contenant du fluor. La fluoroquinolone étant liée à l’atome de fluor, beaucoup de victimes de fluoroquinolones rechutent lors d’exposition au fluor.

Une radio de la mâchoire de Cécile, à qui de nombreuses dents ont dû être extraites ces dernières années.
Une radio de la mâchoire de Cécile, à qui de nombreuses dents ont dû être extraites ces dernières années. © BFMTV

Mais « la conséquence la plus dévastatrice », pour Cécile, reste le développement d’un syndrome d’activation mastocytaire (SAMA). Une pathologie immunologique qui lui provoque des allergies exacerbées à certains aliments, à certains médicaments mais surtout aux soins dentaires. Depuis, elle doit être accompagnée en permanence d’un stylo d’acupuncture électrique (Acupen) en cas de choc anaphylactique.

« Avant cette prise de fluoroquinolones, je n’ai jamais présenté de réactions allergiques et ne savais même pas qu’un niveau aussi extrême puisse exister. J’ai souvent cru vivre mes dernières heures. Mes réactions sont brutales, violentes, et sont potentiellement mortelles ».

« Cet antibiotique n’aurait jamais dû m’être prescrit »

À 45 ans, cette femme a aujourd’hui perdu une douzaine de dents et une grande partie de sa mâchoire (voir photo). Et pour cause, elle se trouve aujourd’hui dans l’incapacité de réaliser la reconstruction dentaire dont elle aurait besoin, au vu du terrain allergique majeur qu’elle présente. Une situation qui engendre de nombreuses complications (affaissement, luxations, fonte osseuse de ses mâchoires, problèmes de mastication et d’occlusions) qui risquent de l’obliger à avoir recours à d’autres extractions dentaires.

Son corps ne supportant plus la plupart des matériaux dentaires, elle n’a désormais d’autre choix que de faire 1000 km pour se faire soigner à l’autre bout de la France. Une contrainte lourde techniquement, mais aussi financièrement.

« Comment un antibiotique largement prescrit peut faire autant de dégâts? », s’interroge-t-elle encore. « Cet antibiotique n’aurait jamais dû m’être prescrit au vu de mes antécédents médicaux « , précise cette Vendéenne. Aujourd’hui en situation d’impasse thérapeutique, elle entend porter plainte.

« Cette prise de fluoroquinolones m’aura volé ma vie! Malgré toutes ces épreuves, étant de nature plutôt optimiste, je me suis souvent forcée à avancer et me battre mais aujourd’hui en lourde dépression car je ne vois pas d’issue, je perds espoir et j’ai peur pour ma vie ». Aujourd’hui je n’appelle pas ça une vie, je survis et j’essaie de m’en sortir comme je peux », affirme Cécile, qui se dit à la fois « épuisée, dépitée et terrifiée ».

Trop de prescriptions « par la force de l’habitude »

Les fluoroquinolones « sont une classe d’antibiotiques qui peuvent être utilisés lors d’infections bactériennes graves », indique sur son site l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), qui rappelle que « comme tout médicament, les fluoroquinolones peuvent être à l’origine d’effets indésirables ».

« Toute prise de médicaments comporte des risques, c’est vrai », rappelle à BFMTV.com le professeur Mathieu Molimard. Toutefois, « un médecin doit constamment jongler entre les bénéfices et les risques pour un patient donné ». Or dans le cas des fluoroquinolones, « ils sont encore trop largement prescrits en 1e intention en France », alors que l’Agence européenne du médicament a réévalué en 2018 leur rapport bénéfice/risque et restreint leurs indications thérapeutiques.

Ainsi pour le professeur Mathieu Molimard, « il n’est pas question d’interdire les fluoroquinolones mais plutôt d’ajouter des contraintes supplémentaires aux médecins de manière à ce qu’ils arrêtent de les prescrire trop facilement en 1e intention, simplement par la force de l’habitude ».

« Ce sont des médicaments qui pénètrent très bien les tissus, et qui sont donc très efficaces. Mais ils ne sont pas dénués de risques, loin de là. C’est pourquoi il ne faut y avoir recours que quand on a pas d’autre choix », explique ce professeur au CHU de Bordeaux, également responsable de la communication de la Société française de pharmacologie et de thérapeutique (SFPT).

Le ministère de la Santé, de son côté, indique avoir demandé qu’apparaisse un message de prévention dans les logiciels d’aide à la prescription, et avoir publié un dossier thématique sur le sujet sur le site internet de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM).

Jeanne Bulant Journaliste BFMTV

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