Comment sont pris en charge les mineurs mis en examen dans des affaires criminelles?

Si les mineurs mis en examen pour des crimes s’exposent généralement à des sanctions pénales, leur prise en charge par la justice durant l’instruction présente plusieurs spécificités.

C’est un drame qui a ému bien au-delà du village dans lequel il s’est produit, au vu de l’âge de la victime et de son meurtrier présumé. Emma, 13 ans, a été retrouvée morte à Clessé en Saône-et-Loire le 9 juin dernier au petit matin, un couteau planté dans la gorge.

Son petit ami de 14 ans, rapidement interpellé, a avoué avoir prémédité et commis le meurtre, lors de sa garde à vue. Il a par la suite été mis en examen pour « homicide volontaire avec préméditation » par le parquet de Chalon-sur-Saône.

Si la peine qu’il encourt – 20 ans de réclusion criminelle, puisqu’il bénéficie de l' »excuse de minorité » – est revue à la baisse en raison de son âge, ce n’est pas la seule adaptation que prévoit la loi en matière de prise en charge des mineurs par la justice.

Des règles spécifiques en garde à vue

À commencer par un cadre spécifique en garde à vue. Celle-ci, quand le suspect a moins de 18 ans, ne peut se dérouler sans être filmée, pour prévenir tout abus, quels que soient les faits pour lesquels le mineur est entendu. La règle s’applique également pour les adultes, mais seulement en matière criminelle.

Autre obligation, les parents doivent être prévenus du placement en garde à vue de leur enfant: « Un mineur ne connaît pas forcément d’avocat, ni les rouages du monde judiciaire », explique Me Raphaël Deutsch, qui représente le meurtrier présumé âgé de 16 ans de Mattéo, adolescent tué à Champigny-sur-Marne l’an dernier.

Au contraire, si les représentants légaux du suspect ne sont pas prévenus de cette mesure, la garde à vue peut être considérée comme nulle.

La détention provisoire possible, mais encadrée

Au même titre qu’un adulte, un mineur peut être placé en détention provisoire, une fois mis en examen en vue d’un éventuel procès, même si cette mesure est assez rare chez les suspects les plus jeunes – pour lesquels elle doit être jugée comme « indispensable ».

Mais là où un majeur peut être détenu à titre provisoire pendant trois ans au maximum, cette durée tombe à un an pour les mineurs de moins de 16 ans, et deux au-delà de cet âge.

Lorsque la détention n’est pas justifiée par la gravité des faits reprochés, l’adolescent peut rentrer chez lui, sous contrôle judiciaire. Parfois, ce retour au domicile familial est jugé risqué: dans ce cas, le mineur peut être placé dans un Centre éducatif fermé (CEF) où il pourra, strictement encadré par des éducateurs, continuer de recevoir des cours et prendre part à des activités sportives ou culturelles.

« Trouver le biais pour créer du lien »

Vouvoiement ou tutoiement avec un client mineur, le choix est laissé à l’appréciation de chaque avocat. En garde à vue, cependant, un ton plus familier peut s’instaurer, déclarait sur notre antenne Me Adrien Gabeaud, l’avocat de l’adolescent de 14 ans soupçonné d’avoir tué Marjorie, 17 ans, à Ivry-sur-Seine l’an dernier, sur fond de rivalités sur les réseaux sociaux.

« [Les enquêteurs] peuvent le vouvoyer, mais pour des questions de proximité et de cohésion, ils tutoient le gardé à vue. »

Arianne Casanova, psychiatre et pédopsychiatre auprès de la Cour d’appel de Paris, a travaillé pendant 35 ans pour la Protection judiciaire de la jeunesse. Elle aussi décrit l’importance d’adapter sa manière de s’adresser à un suspect lorsqu’il s’agit d’un adolescent. La première approche notamment, rapporte-t-elle auprès de BFMTV.com, est primordiale.

« J’aborde avant tout des choses banales. J’explique qui m’envoie, quelle est la nécessité de cet examen, je demande au mineur comment se sont passés les entretiens précédents… Ce n’est pas tant de la pédagogie que de l’empathie. C’est un moyen de trouver le biais, le vocabulaire qui permettra de créer un lien. »

Et d’évaluer les capacités d’écoute, d’expression et réflexion de l’individu. « Dès les premières phrases, on va pouvoir situer si un adolescent peut utiliser un langage ordinaire, s’il n’a pas eu de difficultés d’apprentissage. S’il est dans un circuit d’échec, il n’utilisera pas les mêmes mots qu’un enfant qui n’a jamais eu de problèmes sur le plan éducatif », résume Arianne Casanova.

Des motivations propres à l’adolescence

Après ces premiers constats vient le temps du diagnostic à proprement dit. Déjà, le motif d’un passage à l’acte peut, dans certains cas, avoir un lien avec l’âge de l’individu. Par exemple, le phénomène de groupe ou l’égo peut d’autant plus jouer un rôle à l’adolescence que le sujet est en pleine construction.

« Il peut y avoir le sentiment de pouvoir revenir en arrière, alors que bien entendu, nous sommes dans la vraie vie, pas sur les réseaux sociaux, et qu’il n’y a pas de retour en arrière », explique sur BFMTV Adrien Gabeaud.

Dans d’autres situations, c’est l’exposition à des images vue à un très jeune âge sur internet qui peut parfois estomper les limites entre fiction et réalité. Comme c’était le cas il y a quelques mois à Fabrègues, dans l’Hérault, lorsque deux collégiennes ont tué le père et gravement blessé la mère et la sœur de l’une d’entre elles à l’aide d’un couteau. Elles disaient s’être inspirées des « creepy pasta », légendes horrifiques virales sur Internet.

« Très peu de filtres sont effectifs pour les accès à Internet, et quand il y en a, certains enfants sont plus doués en informatique que leurs parents et peuvent contourner ce qu’ils veulent « , analysait alors pour nous Arianne Casanova.

Maturité en développement

Pourtant, détaille l’experte psychiatre, en matière criminelle, la règle est de juger les adolescents au même titre que les adultes sur le plan psychiatrique, en ce qui concerne leur maturité. Certains pédopsychiatres, comme Arianne Casanova, s’autorisent cependant à insister, dans leurs rapports, sur la différence entre mineurs et majeurs sur ce point.

« Il n’y a aucune raison de penser qu’un adolescent est structuré comme un adulte. Sa maturité comportementale, sociale et affective n’est pas encore aboutie », estime-t-elle.

L’environnement familial et scolaire, facteur important

À ce titre, l’environnement dans lequel grandit l’adolescent a également un rôle primordial à jouer. Impossible donc de passer à côté lorsqu’un mineur se retrouve au cœur d’une enquête criminelle. Les enquêteurs doivent établir si la famille du mineur jouait bien un rôle de protection et d’encadrement, mais aussi s’il était bien intégré dans le milieu scolaire.

S’il y a des failles à ce niveau-là, « les avocats vont pouvoir insister sur ce point, plus tard », précise Me Raphaël Deutsch. « Même si on ne remet pas en question sa responsabilité, ces éléments vont permettre d’essayer de comprendre pourquoi il a agi ainsi. Au final, ça peut jouer sur la peine » prononcée, si procès il y a.

Vérifier si l’individu a déjà bénéficié d’un suivi psychologique auparavant peut également mener à préciser pour quelles raisons et dans quel contexte un adolescent est passé à l’acte.

Concernant le meurtre d’Emma à Clessé, son assassin présumé avait par exemple déjà tenté de se faire du mal. Ses parents l’avaient alors conduit chez un psychologue qu’il avait rencontré une fois avant de passer à l’acte. Un expert a reconnu chez l’adolescent une altération importante du discernement. Il devrait être examiné de nouveau au cours de l’instruction.

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