2050, OUVRONS LES YEUX – Les premiers signes de la hausse du niveau de la mer viendront de l’augmentation de phénomènes météorologiques extrêmes mais, à terme, des zones entières de l’Hexagone pourraient se retrouver sous l’eau.
Les Saintes-Maries-de-la-Mer (Bouches-du-Rhône) devenues une presqu’île, Lacanau (Gironde) inondée et ses habitants relocalisés… Avec la montée des eaux prévue dans les décennies à venir, la France va changer de visage, comme le montre le docu-fiction « 2050: ouvrons les yeux », diffusé ce lundi soir sur BFMTV.
Selon les dernières estimations du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), le niveau moyen de l’océan augmentera d’au moins 28 cm d’ici 2100, dans le meilleur des scénarios – en cas de nette réduction de nos gaz à effet de serre. Ou, plus probablement, si nous conservons notre trajectoire actuelle, de 63 cm à 1,01 m – le scénario d’une élévation de 2 mètres n’est pas écarté par les experts.
« Environ un milliard de personnes pourraient vivre d’ici 2050 dans des zones côtières menacées par la montée des eaux et les épisodes de submersions marines lors des tempêtes », alertent les experts climat de l’ONU.
Et la France et ses nombreux littoraux ne seront pas épargnés, comme le montre cette simulation réalisée par l’institut de recherche américain Climate Central. Sont représentées en rouge les zones menacées en cas de montée des eaux de 1 mètre. (La carte peut prendre du temps à charger, cliquez ici si elle ne s’affiche pas.)
Submersions marines et marées plus hautes
L’élévation « du niveau de la mer est un phénomène inéluctable d’ici 2100 dont la vitesse et l’intensité dépendent du réchauffement climatique », écrit l’Alliance nationale de recherche pour l’environnement. Elle est due à « la fonte des glaces des calottes polaires, notamment au Groenland (contribution multipliée par trois en 20 ans) », mais aussi au « gonflement dû à la dilatation de l’eau des océans (effet stérique), et à la fonte des glaciers terrestres ».
« En France, tous les littoraux seront touchés », par cette montée des eaux, prévient la climatologue Françoise Vimeux, directrice de recherche à l’IRD (institut de recherche pour le développement), interrogée par BFMTV.com.
Mais « il faut tout de suite comprendre que la mer ne va pas monter comme dans une baignoire », précise Denis Lacroix, délégué à la prospective auprès de la direction générale de l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer). « Il y aura d’abord une augmentation des événements météorologiques extrêmes. »
Avec une hausse du niveau de la mer à +30 cm, les submersions marines – des inondations courtes et rapides dues à la mer lors d’événements météorologiques violents – seront plus fortes et plus nombreuses et les marées hautes monteront plus haut. À ce niveau, « pendant les tempêtes, il est également plus probable que les digues soient dépassées », explique à BFMTV.com Gonéri Le Cozannet, chercheur au BRGM (bureau de recherches géologiques et minières), et coauteur du rapport du Giec.
À +1 m, « on retrouvera les mêmes aléas, mais en beaucoup plus fort, avec des submersions permanentes par endroits », ajoute-t-il.
La hausse du niveau des mers touchera les côtes françaises « de manière chronique avec l’envahissement par la mer des zones de très basse altitude, de manière ponctuelle lors de grandes marées et lors de fortes tempêtes à cause à de submersions marines importantes« , résume Françoise Vimeux. Et « bien entendu les effets se coupleront si une forte tempête se produit lors d’une grande marée ».
« Les traits des côtes vont changer »
En France, des zones plus à risque commencent déjà à être touchées par la montée des eaux. En outre-mer, « la marée haute est plus élevée par endroits », explique Gonéri Le Cozannet, « en Guadeloupe il y a des zones de submersions chroniques ».
S’il est encore un peu tôt pour voir des signes évidents en France métropolitaine, dans l’Hexagone aussi, « les traits des côtes vont changer » dans les décennies à venir, prévient Denis Lacroix. Le spécialiste cite le cas de la Charente-Maritime, de la Normandie ou encore des Hauts-de-France.
À terme « dans la baie d’Arcachon ou la baie de Somme, l’eau finira par rester définitivement », dit-il. « Elle va isoler petit à petit certains points », par exemple les Saintes-Maries-de-la-Mer », commune qui pourrait devenir une presqu’île.
La montée des eaux « va modifier le dessin de la carte de France », résume l’expert.
L’érosion accélérée
Outre les inondations, Françoise Vimeux souligne également que la montée du niveau de la mer va aggraver l’érosion déjà existante du littoral, ce phénomène qui entraîne le recul de la côte et l’abaissement du niveau des plages.
L’immeuble Le Signal, à Soulac-sur-Mer (Gironde), est depuis longtemps un symbole de l’érosion due au changement climatique. Construit en 1967 à 200 mètres du rivage, il n’en est plus aujourd’hui qu’à une dizaine de mètres. Victime de l’érosion côtière, il va être détruit.
L’effondrement de falaises en Normandie, comme à Étretat, est aussi un signe de la montée des eaux, déclare Denis Lacroix, car « la mer attaque le pied des falaises de façon plus marquée. »
L’ampleur et les conséquences exactes de la montée des eaux ne sont toutefois pas encore connues pour le moment. « Cela va dépendre de la fonte des glaces et de l’augmentation des émissions de CO2 », rappelle Gonéri Le Cozannet.
Mais c’est « un phénomène en accélération », souligne Denis Lacroix. « Au siècle dernier la montée du niveau des mers était de 2 mm par an, sur les vingt dernières années elle est de 4 mm », et ces chiffres pourraient continuer à augmenter, entrainant des prévisions à la hausse. Certains modèles prévoient ainsi une hausse de plus de 2 mètres à la fin du siècle.
Monter les digues et laisser des zones inondées
Pour pallier les inondations, des digues existent déjà par endroits, notamment sur des zones littorales basses, depuis des décennies, comme à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine). Elles pourraient être surélevées au besoin en fonction de la montée du niveau de la mer. Mais cette méthode connait plusieurs limites: elle est coûteuse et a une incidence écologique, car elle bloque la sédimentation par endroits.
D’autre part, « si la digue se rompt ou si elle est submergée par un ouragan ou un tsunami exceptionnel, l’inondation sera catastrophique », écrit sur The Conversation Éric Chaumillon, chercheur en géologie marine.
Mais d’autres possibilités sont sur la table. La région Aquitaine a par exemple fait des recherches sur l’adaptation de son territoire au changement climatique, dont la montée des eaux. Dans son rapport de 2018, il est souligné que les besoins ne sont pas les mêmes selon la zone évoquée, mais aussi l’aléa concerné.
« Lorsque l’érosion chronique est faible à modérée alors certains ouvrages comme les épis (pieux qui permettent de freiner les courants d’eau et de retenir les sédiments, ndlr) peuvent être maintenus » est-il expliqué. Mais lorsqu’elle est « intense et les enjeux faibles » alors « la mise en place de nouveaux épis et de brise-lames doit être découragée. »
Il est également évoqué la possibilité de « rabaisser les digues et de laisser inonder des zones à faibles enjeux », pour réduire des inondations ailleurs. On parle de dépoldérisation, soit le fait de retirer des aménagements humains retenant l’eau, pour la laisser revenir sur des territoires. Laisser des inondations se faire en somme.
« Certaines zones devront être abandonnées »
Mais si les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter, et le niveau de la mer avec elles, « on va à un moment atteindre les limites de l’adaptation avec les digues et les tas de sable », explique Gonéri Le Cozannet. À moins de « construire des digues énormes » qui barreraient la mer, comme les murs massifs construits au Japon contre les tsunamis.
« Ce serait au détriment des espaces naturels côtiers », déclare le scientifique.
« Au bout d’un moment, la technologie ne peut pas protéger de tout », abonde Denis Lacroix. « Certaines zones devront être abandonnées, il faut envisager de relocaliser des personnes, faire un choix stratégique entre ce que l’on voudra sauver ou non. »
Ce raisonnement est également présent dans le rapport de la région Aquitaine, qui a étudié la possibilité de relocaliser les habitants de Lacanau si la situation devenait trop intenable. Un avenir complexe à gérer pour les autorités, d’autant que la densité de population sur les côtes est « 2,5 fois plus élevée que la moyenne nationale, avec une tendance d’évolution prévue à la hausse », écrit le ministère de la Transition écologique.
Pour faire face aux bouleversements qui attendent nos littoraux, les scientifiques interrogés appellent tous à s’adapter à l’avance: il faut dès aujourd’hui prévoir une montée des eaux à plus d’un mètre d’ici 2100 et des premiers dégâts avant cette date. Mais pour limiter les catastrophes à venir, il faut surtout faire le maximum dans les années à venir pour limiter le réchauffement climatique.
« Il y a des progrès continus faits en France sur les littoraux, avec des choses positives », déclare Gonéri Le Cozannet. « Mais on n’a pas fait la totalité de ce qu’il faudrait, en France comme dans les autres pays. »
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